Chine : confiance, guerre des prix et crédibilité, les maîtres-mots de ce début d’année
Après une pause statistique en raison du Nouvel An lunaire, les données d’activité pour janvier et février ont été publiées cette semaine. Si certaines composantes ont surpris à la hausse, à commencer par la production industrielle (7% en glissement annuel) soutenue par la demande extérieure (les exportations ont progressé de 8,2% en janvier et de 5,6% en février), la Chine demeure enfermée dans ses difficultés structurelles, en particulier dans le secteur immobilier.
Premier impératif : créer le choc de confiance
La confiance, ou plutôt son absence, se lit partout : dans les chiffres des ventes au détail (5,5% en février, ce qui a déçu le consensus), dans ceux de l’investissement privé, dans le niveau des importations (-8,2% en février) et surtout dans les indicateurs du marché immobilier. C’est surtout ce dernier qui concentre les inquiétudes, car loin de s’améliorer, le début d’année a marqué une nouvelle dégradation des variables-clés : mises en chantier, superficies vendues et nouvelles constructions. Fragilisé par la faillite de près de 50% des promoteurs, le secteur immobilier demeure bloqué dans la première étape de sa lente mue : achever les chantiers démarrés et payés par les ménages qui présentent encore une certaine rentabilité.
Alors que le nombre de nouveaux chantiers a chuté de 60% par rapport au pic de 2019, les prix ne se sont ajustés que de 6,3% en 2023 en moyenne dans les grandes villes. Ce chiffre cache des disparités entre les mégalopoles concentrant encore une pression démographique importante (Pékin, Shanghai, Shenzhen) et les autres, mais est révélateur de la volonté des autorités de réguler l’ampleur de la baisse des prix, et ce pour trois raisons :
- Éviter un effet de richesse négatif, le secteur immobilier concentrant 70% des actifs des ménages urbains ;
- Éviter un effet de contagion sur le système bancaire en cas de baisse très brutale des prix, alors même que ce dernier demeure encore plutôt solide malgré son exposition au secteur immobilier,
- Ne pas alimenter encore plus la déflation et risquer que la guerre des prix déjà en cours dans le secteur des véhicules électriques ne se propage à d’autres secteurs de l’économie.
Deuxième impératif : éviter la guerre des prix
La guerre des prix fait rage sur le marché des véhicules électriques. À l’offensive, BYD, le fabricant de batteries, devenu le géant de l’automobile en Chine. En 2023, le constructeur a supplanté Tesla comme premier producteur mondial de véhicules électriques ; la Chine est ainsi devenue le premier exportateur de voitures devant le Japon et l’Allemagne. Plus solide financièrement que la plupart de ses concurrents, BYD a procédé depuis le début de l’année à de nouvelles baisses de prix sur ses modèles d’entrée de gamme, avec des tarifs démarrant sous les 10 000 dollars.
Cette guerre des prix est dangereuse. Bien sûr, elle bénéficie aux consommateurs à court terme en stimulant la concurrence. Mais elle intervient dans un contexte de faible niveau de la demande dans l’économie chinoise, déjà marquée par une inflation très faible, voire négative. Si la hausse des prix est enfin revenue en territoire positif en février (0,8% en glissement annuel), c’est surtout grâce à un effet de base favorable et à la période du Nouvel An lunaire, généralement propice à une hausse des prix dans les activités liées aux célébrations (transports, hôtellerie, restauration, etc.).
Dans le secteur automobile, la guerre des prix ne peut avoir lieu que sous deux conditions : le niveau élevé des subventions accordées par les autorités (directement aux constructeurs pour la recherche et développement par exemple et aux acquéreurs) et la baisse des marges des producteurs. Cette baisse est acceptée à court terme car les constructeurs automobiles visent bien sûr les marchés à l’exportation, notamment européens, sur lesquels le niveau des prix pourra être plus élevé tout en restant compétitif par rapport aux marques américaines ou européennes.
Or, l’Union européenne semble de plus en plus réticente à l’idée d’ouvrir grand la porte du marché unique aux véhicules électriques chinois, quand bien même ses consommateurs pourraient profiter de prix moins élevés, et donc faire augmenter le taux de pénétration de l’électrique face aux moteurs plus polluants. La Commission a ainsi engagé des enquêtes sur le niveau réel des subventions chinoises dans le secteur, avec l’idée d’utiliser cet argument pour dénoncer une concurrence déloyale, et donc mettre en place des barrières tarifaires et non-tarifaires supplémentaires.
Une offensive de ce type serait une très mauvaise nouvelle pour l’économie chinoise qui compte plus que jamais sur son industrie manufacturière, et notamment les « new three » (véhicules électriques, panneaux solaires et batteries), pour maintenir son appareil industriel et écouler les surcapacités qui ne peuvent être absorbées par un marché domestique atone. En février, l’excédent commercial cumulé sur douze mois a atteint un nouveau record en dépassant largement les 1 000 milliards de dollars (1 096 Mds).
Troisième impératif : proposer un discours politique efficace et crédible
C’était, jusqu’à la crise du Covid, le grand point fort de la Chine. Mais depuis quatre ans, les attentes des marchés semblent désalignées de celles des autorités. Les marchés ont d’abord été déçus par le dynamisme de la reprise début 2023, puis par ce qu’ils considéraient comme une insuffisance de soutien budgétaire de la part de l’État. Résultat, certaines décisions (par exemple, le soutien aux marchés actions qui commençaient à dévisser trop rapidement) ont été annoncées à la hâte, et n’ont fait qu’accroître les craintes sur l’état réel de l’économie.
Cumulées sur trois ans, les mesures de soutien sont loin d’être dérisoires, même si leur niveau n’a rien de comparable avec celui des grandes relances de 2008 et 2015. Cependant, elles manquent d’efficacité pour convaincre les investisseurs et les ménages, et c’est peut-être cela qui tranche le plus avec le passé et la formidable capacité qu’avait la Chine à trouver les bons leviers pour réactiver son cycle.
À bien y regarder, le discours des autorités est pourtant cohérent avec ses actions : celui d’une priorité donnée à la stabilité politique, au désendettement – en particulier des collectivités, responsables de bien des dérives dans ce domaine – mais aussi à la place de l’État, du secteur public et surtout du Parti au centre de la vie économique du pays. Le problème viendrait alors peut-être du refus des marchés d’accepter ce changement.