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Chine : deux sessions, une cible de croissance et beaucoup de questions

Dans une chorégraphie quasi immuable, le Nouvel An lunaire a laissé place aux « deux sessions » (les Lianghui) qui réunissent chaque année en mars plus de 3 000 représentants du Parti communiste chinois et de l’Assemblée nationale populaire. Chorégraphie immuable ou presque, puisqu’il a été annoncé que la traditionnelle conférence de presse du Premier ministre, rare moment d’échanges – encadrés mais plus libres – avec la presse étrangère, qui se tenait depuis 1993, n’aurait plus lieu. Une première transgression aux traditions avait déjà eu lieu puisque Xi Jinping n’a toujours pas convoqué la session plénière du Comité central du Parti, chargée d’approuver et d’entériner les réformes économiques. 

Li Qiang, nommé Premier ministre en 2023, avait donc la lourde tâche de délivrer le discours de politique générale et de présenter les derniers axes de travail du gouvernement, tout en annonçant les grands objectifs économiques pour l’année 2024. 

 

Sans surprise, la cible ambitieuse de 5% de croissance a été choisie

Première annonce et non des moindres, la cible officielle de croissance fixée comme en 2023 « autour de 5% ». Cette fois-ci cependant, la Chine ne pourra plus compter sur un effet de base favorable pour l’aider à réaliser cet objectif. Alors que la véracité des chiffres de croissance 2023 (5,2%) est déjà remise en question, le choix de maintenir la cible à 5% est à double tranchant.

D’un côté, il envoie un message fort aux acteurs économiques : celui que les autorités croient au redémarrage de l’économie après quatre années difficiles, marquées par le Covid puis par la crise immobilière et plus généralement par un manque de confiance des ménages et des investisseurs, incarné dans la faiblesse de l’inflation. Mais, de l’autre, et en l’absence de nouvelles mesures de soutien pour y parvenir, la crédibilité de cette annonce est questionnée, et ce d’autant plus que le consensus (organisations internationales comme institutions financières privées) voit plutôt la croissance autour de 4,5% que de 5%.

Même question sur la cible d’inflation, toujours fixée à 3% et ce alors même qu’elle n’a pas dépassé ce niveau depuis dix ans, à l’exception de l’année 2019 durant laquelle la hausse des prix avait été tirée par la crise porcine. Si cet indicateur était moins commenté les années précédentes, l’entrée de la Chine dans la déflation – l’inflation en glissement annuel a été négative ou nulle depuis septembre 2023 – rend le décalage plus visible et renforce les interrogations sur l’intérêt de maintenir une cible si haute tout en sachant qu’elle ne sera de toute évidence pas atteinte. 

 

Un alignement sur le diagnostic, une incertitude sur les solutions 

Sur le plan du diagnostic de l’économie, le message est pourtant clair et les risques reconnus : baisse de la demande extérieure, insuffisance de la demande intérieure, surcapacités de production dans l’industrie, crise immobilière et persistance du surendettement dans les collectivités locales. Des fractures profondes « accumulées de longue date », les fameux « rhinocéros gris » – risques identifiés mais insuffisamment anticipés – qui ont fini par se matérialiser.

C’est sur le diagnostic des solutions que la copie devient plus floue. Li Qiang a promis que l’année 2024 serait celle de la consommation… une formule qui avait déjà utilisée en 2023, sans grand succès. Il faut dire qu’en réalité les autorités ne croient pas au pouvoir de la relance par la consommation, ni à son « effet multiplicateur » cher aux économistes keynésiens. Elles craignent au contraire que la consommation crée des générations d’assistés, alors que la jeunesse, invitée à « ravaler son aigreur », est souvent accusée de ne plus vouloir travailler autant que les générations précédentes. En réalité, et dans le cas chinois, le problème est plus profond et révélateur du paradoxe de cette économie : un régime communiste sans protection sociale. C’est particulièrement vrai pour les travailleurs migrants, une population estimée à 250 millions de personnes, qui travaillent en ville mais n’ont pas accès à certaines prestations sociales (assurance chômage, santé).

C’est ce paradoxe qui explique la préférence des ménages chinois pour l’épargne plutôt que pour la consommation, préférence renforcée par trois années de Covid et une dégradation du marché du travail, en particulier chez les jeunes. Les autorités craignent donc que, même en ciblant les ménages aux revenus les plus faibles, ces efforts budgétaires soient inutiles et ne servent qu’à augmenter l’épargne des ménages ou à les désendetter.  

Et si Li Qiang a indiqué que la politique budgétaire resterait « active », le niveau du déficit devrait rester dans sa zone habituelle de 3% du PIB. En revanche, quelques marges de manœuvre héritées de l’année précédente demeurent, puisque des mesures de soutien (financement d’infrastructures résistantes aux catastrophes naturelles notamment) avaient été annoncées en fin d’année et n’ont pas encore été toutes décaissées. Sur le plan monétaire, l’heure serait plutôt à la prudence après les franches baisses des différents taux (taux directeurs et taux de réserves obligatoires) consenties ces derniers mois. Alors que les États-Unis et le reste du monde ne se sont pas encore engagés dans une politique d’assouplissement monétaire, la Chine craint de nouvelles sorties de capitaux et un affaiblissement du yuan si le différentiel de taux s’accentue. 

Or, Li Qiang a aussi insisté sur le développement du secteur privé, à travers l’investissement privé domestique mais aussi international. Avec des flux d’IDE au plus bas depuis plus de vingt ans (33 Mds de dollars nets contre 185 Mds en 2023), la Chine porte un message d’ouverture qui a encore du mal à se concrétiser dans les comportements des investisseurs. Le passage du discours sur « le contrôle complet en matière d’ordre public », indiquant que l’impératif sécuritaire devrait continuer de l’emporter sur la logique économique ne va pas non plus aider. 

Après l’utilisation du concept de « croissance qualitative » ces dernières années, c’est cette fois celui de « développement de haute qualité » qui a été convoqué. Li Qiang se réfère ici aux nouveaux « big three » (véhicules électriques, panneaux solaires et batteries) venus remplacer le textile, les appareils ménagers et les meubles dans la liste des produits les plus exportés par la Chine, et synonymes d’une hausse de la valeur ajoutée dans les chaînes de valeur chinoises. Mais ce sont aussi dans ces secteurs que des surcapacités de production existent, et donc que la demande extérieure sera cruciale. 
Fustigeant « le protectionnisme et l’unilatéralisme » qui ont « gagné du terrain », la Chine voit d’un très mauvais œil les discussions émergeant dans l’Union européenne sur l’établissement de barrières à l’entrée pour les véhicules électriques chinois, ou encore la décision de mener des enquêtes sur le niveau des subventions publiques dans cette industrie. Or, les constructeurs chinois comptent avant tout sur le marché européen pour reconstituer leurs marges.

 

Sur le plan géopolitique : hausse du budget militaire

Comme l’année passée, la Chine a annoncé un budget militaire en hausse de 7,2%, qui excède donc une nouvelle fois la cible de croissance. Le budget militaire chinois, de plus de 230 milliards de dollars, deuxième mondial derrière celui des États-Unis, demeure toutefois sous-estimé, car il n’inclut pas de nombreuses dépenses de recherche et développement, considérées par la Chine comme relevant du civil alors même que leur utilisation demeure avant tout militaire (notamment tout ce qui relève de la cyberdéfense). 

Les accrochages en mer de Chine se sont multipliés ces derniers mois, en particulier avec les Philippines, auxquelles la Chine dispute le contrôle des îles Spratleys. Les pays de l’Asean (à l’exception de la Birmanie, non conviée) qui participaient cette semaine à un sommet conjoint avec l’Australie, ont dénoncé des « comportements dangereux en mer et dans les airs » ainsi que « des actions déstabilisantes, provocatrices et coercitives ». La semaine dernière, un nouvel incident a fait quatre blessés côté philippin. Il semble peu probable que l’heure soit à l’apaisement.

Après une semaine de réunions, les deux sessions se sont refermées, laissant quelques certitudes et beaucoup de questions. Ce qui est certain d’abord, c’est que la place du Parti et de son dirigeant Xi Jinping a continué de se renforcer : la suppression de la traditionnelle conférence de presse du premier ministre le laissait présager, la promulgation d’une loi indiquant que le rôle du gouvernement est « d’appliquer résolument les décisions du comité central » est venue le confirmer. Cela veut dire aussi qu’il ne faut pas s’attendre à un relâchement de l’impératif sécuritaire, qui aurait pu redonner un peu d’air au secteur privé, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies, bien au contraire. Les questions sont quant à elles surtout liées à la conduite de la politique économique. En choisissant une cible ambitieuse et au-dessus des prévisions du consensus, les autorités auraient pu être plus dissertes sur les moyens mis en œuvre pour l’atteindre afin de rassurer des marchés déboussolés par les données décevantes des derniers mois. Au lieu de ça, peu d’indications précises sur le soutien budgétaire envisagé, en particulier dans le secteur immobilier toujours en état de crise. Loin d’un exercice de transparence, les deux sessions n’auront que renforcé la perception d’une Chine toujours plus opaque.

 

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