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Euro Numérique

La notion de monnaie numérique de banque centrale demeure, pour la plupart des Européens, un concept relativement abstrait où la confusion règne en maître. Toutes les enquêtes le démontrent. Interrogé, le grand public apparaît comme très peu familier avec l'euro numérique et se désintéresse globalement de ce projet alors même que le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) vient de lancer la phase préparatoire le 18 octobre dernier. Une phase que la BCE ne saurait limiter à son simple dialogue avec les acteurs économiques du côté de l'offre. Elle doit impérativement explorer des voies novatrices de dialogue avec le grand public et s'engager dans une réflexion audacieuse pour susciter un authentique désir d'euro numérique au sein de la population européenne. 

La grande confusion

La majorité des citoyens européens ont une connaissance et une compréhension limitées de l'euro numérique, et l'intérêt à son égard présente une disparité marquée d'un pays à l'autre, dépendant des générations, des groupes socio-professionnels et des statuts sociaux. Si l’euro numérique devait être déployé dès à présent, le premier de ses utilisateurs serait probablement un jeune trentenaire, urbain, plutôt bien éduqué et engagé dans la vie active avec un bon niveau de revenus. Mais la jeunesse ne faisant pas toute l’Europe, les Européens ne sont pas tous égaux face à l’euro numérique. 

Parmi les personnes plus âgées, et en particulier chez les plus de 50 ans, la connaissance d’une monnaie numérique de banque centrale semble déjà beaucoup plus limitée. Quand on interroge certains Européens, il apparaît clairement que la majorité des sondés n'ont qu'une connaissance rudimentaire des monnaies numériques de banque centrale en règle générale et de l’euro numérique en particulier. Très peu d’entre eux – y compris ceux qualifiés de "technophiles" – en ont déjà entendu parler ou se disent véritablement informés. Pour les Européens qui pensent connaître l’euro numérique, plus rares encore sont ceux en mesure d’identifier leurs sources d’information.

Les populations européennes non bancarisées ou qui souffrent de sous-bancarisation dans leur vie de tous les jours apparaissent encore moins familières avec la notion d’euro numérique et montrent peu d'intérêt du fait d’un sujet vague et difficile à appréhender. Une situation potentiellement à haut risque en matière de fracture numérique inconcevable pour la BCE qui ne veut laisser « personne de côté » avec son projet.

Alors que l’euro existe déjà sous forme dématérialisée, la confusion règne parmi le grand public car beaucoup ne discernent pas encore clairement la différence entre l'euro numérique et les fonds déjà détenus sur des comptes bancaires ou via des applications financières. La population européenne se sent pour l’instant dépassée par ce concept encore flou et déroutant. Elle le voit parfois comme une crypto-monnaie, parfois comme une version numérique de l'argent liquide, censée le remplacer. De fait, les citoyens européens expriment clairement un besoin d'informations pour mieux comprendre les avantages de ces "euros sans espèces" par rapport aux solutions de paiement actuelles.
 

Le Pourquoi ?

Les Européens rencontreraient également des difficultés à comprendre la nécessité d’un euro numérique, d’une part en raison de leur satisfaction vis-à-vis des méthodes de paiement existantes, et d’autre part parce qu'ils considèrent déjà l'argent électronique comme une réalité. Aussi, lorsqu'on évoque les fonctionnalités de l'euro numérique, il n’est pas étonnant de voir les Européens placer en tête de leurs priorités la fonction hors ligne et la possibilité de transférer des euros numériques de personne à personne. La BCE a donc tout intérêt à intégrer nativement ces deux fonctionnalités préférées des Européens dans son projet de monnaie numérique de banque centrale. Cependant, des sondages révèlent que ces deux fonctionnalités seules risquent de ne pas suffire à convaincre les personnes fortement attachées à l'argent liquide de passer à l'euro numérique. Les sondés accordent également une grande importance à l'accès universel, à la facilité et à la simplicité d'utilisation, ainsi qu'à la rapidité et à la sécurité comme propriétés de la monnaie numérique en général. 

Par ailleurs, dans certains pays européens (Autriche, Allemagne), les citoyens tiennent encore à leur liberté de choix en matière monétaire et de paiements. Ils sont aussi particulièrement attentifs à ce que l’euro numérique ne vienne pas fragiliser les banques commerciales et expriment à l’occasion de ce débat leur très fort attachement aux espèces, et ce malgré le déclin manifeste des paiements en monnaie sonnante et trébuchante dans certains pays de la zone Euro et globalement dans le monde.

Un nombre significatif de citoyens européens interrogés sur l'euro numérique demeurent convaincus de la nécessité de maintenir l'argent liquide au premier rang de leurs besoins. Leur préférence pour les espèces est étroitement liée à leur coût minime, leur praticité, leur simplicité, le contrôle des dépenses et la préservation de la vie privée. En conséquence, ceux qui attachent de l'importance à l'utilisation des espèces au quotidien seront probablement les moins enclins à adopter immédiatement la monnaie numérique émise par leur banque centrale, qu'ils perçoivent comme offrant peu d'avantages par rapport aux billets et aux pièces en circulation. En outre, les partisans de l'argent liquide sont moins confiants envers les banques centrales, tandis que les technophiles et les détenteurs de crypto-monnaies sont plus enclins à adopter l’euro numérique à venir.
 

Entre inquiétudes et attentes

Les Européens manifestent des inquiétudes et des questionnements par rapport à l'introduction de l'euro numérique. Ils expriment un besoin important d’être rassurés et se préoccupent de la capacité de leurs ainés et de certains concitoyens à s’adapter à de nouvelles méthodes de paiement numérique. Les sujets abordés incluent les aspects pratiques de son utilisation au quotidien ou en dehors de l’Europe, les répercussions sur la vie privée, ses implications économiques et son impact sur les institutions financières ou sur l’argent liquide, parmi d'autres.

D’une certaine manière, en toile de fond, les Européens se demandent toujours à qui pourrait bien profiter au final l'introduction de ce nouvel euro, une situation qui pèse sur leur adhésion à son lancement. Ils expriment parfois des inquiétudes liées à un accroissement du contrôle exercé par la BCE. Ces préoccupations englobent notamment une possible augmentation du contrôle politique et le risque de dérives autoritaires au sein de leur gouvernement respectif. Certains craignent que l'euro numérique puisse être utilisé comme un outil de surveillance et de contrôle, contrairement à l'argent liquide, qui préserve l'anonymat et offre une liberté monétaire inégalée dans les transactions. Pour autant, lorsque l'euro numérique est perçu comme distinct des crypto-monnaies, les Européens considèrent la numérisation future de leur monnaie par la BCE comme synonyme de sécurité et de stabilité.

Certains Européens voient également l'euro numérique comme un instrument supplémentaire pour réduire la fraude, lutter contre la criminalité, l'évasion fiscale et l'économie souterraine. La numérisation de la monnaie est aussi perçue comme un moyen de rendre les transactions financières plus rapides et plus faciles, preuve s’il en est que l’euro numérique doit aussi s’intégrer dans les solutions déployées ou étudiées actuellement en la matière. De fait, un euro numérique en circulation devrait en toute logique limiter l'adoption des crypto-monnaies privées, même celles présentées comme stables, pour les transactions et les échanges au quotidien du grand public. En revanche, il est important de noter qu’une majorité d’Européens pensent que ces deux formes de monnaies numériques coexisteront dans leur environnement de paiement futur.
 

Confiance et sécurité

Pour la population européenne, la confidentialité de leurs futures données transactionnelles liées à l’euro numérique serait une préoccupation majeure. Mais, à y regarder de plus près, de nombreux Européens placent au sommet de leurs priorités la sécurité de l'euro numérique, reléguant parfois la confidentialité de leurs données transactionnelles au second plan. Des citoyens se disent prêts à faire des compromis à ce niveau. Cette hiérarchie des préoccupations reflète la confiance accrue des Européens envers leurs institutions monétaires en matière de préservation de leurs données personnelles, tandis que la sécurité reste un enjeu central dans l'adoption de la monnaie numérique.

En matière de sécurité justement, les Européens expriment une nette préférence pour un système de monnaie numérique de banque centrale basé sur des comptes plutôt qu'un système reposant sur des jetons numériques. Les comptes identifiés sont considérés comme plus sécurisés que des dispositifs numériques entièrement anonymes, que l'on pourrait assimiler à des titres numériques non nominatifs au porteur, avec tous les risques que cela implique en cas de vol. Dans ce contexte, les Européens accordent une confiance nettement plus élevée aux banques commerciales et aux banques centrales en tant qu'émettrices potentielles de monnaie numérique, tandis que les plateformes Internet et les entreprises technologiques suscitent le niveau de confiance le plus bas dans ce domaine.

 

Dans l’immédiat, l’euro numérique se heurte à un grave problème d'adhésion et de compréhension de la part de la population européenne, principalement en raison de la confusion qui entoure cette nouvelle forme de monnaie. Les Européens peinent encore à en saisir pleinement son utilité. Ils s’interrogent sur ses qualités par rapport aux dispositifs monétaires traditionnels en place. En lançant, opérationnellement à partir du 1er novembre, la phase préparatoire de son projet d'euro numérique pour une période a minima de deux ans, la BCE s'est engagée à concevoir une monnaie numérique de banque centrale qui réponde aux besoins du public, tout en maintenant un dialogue actif avec lui. Pour mener à bien cette entreprise ambitieuse, la BCE devra sans nul doute faire preuve d'audace et d'innovation dans ce dialogue à haut risque, afin de susciter un nouvel enthousiasme pour l'euro, vingt-et-un ans après son entrée dans le quotidien des Européens.

Cet article est basé sur les études et enquêtes de Kantar (2023), Oesterreichische Nationalbank (2022), CFA Institute (2023), Nederlandsche Bank (2021), Official Monetary and Financial Institutions Forum (2020), Deutsche Bundesbank (2021), Banque centrale européenne (2021), McKinsey (2023), The Economist (2022).

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