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Open Banking, les entreprises en ont-elles pour leurs données ?

En quelques années à peine, des start-up financières telles que Defacto et Silvr se sont hissées au rang de références françaises sur la scène tricolore des financements alternatifs pour les entreprises. Cependant, leur champ d’expertise va bien au-delà de ce simple statut de financeur de l’économie. Une situation qui questionne.

L’ère des algorithmes 

Grâce à la prolifération des API1 et à l’avènement de l’Open Banking2, ces fintech se sont avant tout spécialisées dans la collecte, le raffinage et la structuration de données d’entreprise, notamment bancaires et financières. 

Elles traitent en masse des informations telles que les relevés bancaires, les historiques de facturation clients et fournisseurs, ainsi que les données d’activité provenant des plateformes e-commerce ou publicitaires. Toutes ces données sont ensuite injectées dans des algorithmes propriétaires qui évaluent et notent les entreprises en recherche de financement.

Le cœur de leur savoir-faire réside donc dans ces algorithmes de notation et d’octroi de crédit qui promettent un financement tout à la fois produit à bas coût et augmenté par la massification des données, la numérisation des processus et l’immédiateté de la décision.

Dans un contexte de resserrement des liquidités pour les fintech, ces start-up de la finance ont continué à attirer des investisseurs et des partenaires stratégiques. Après les 330millions d’euros3 sécurisés par Silvr depuis 2022, Defacto a obtenu 167millions d’euros4 en juillet dernier de la part de Viola Credit et Citigroup. Cette manne financière contribuera, en 2024, au renforcement de la production française de crédits algorithmiques, dans un marché de crédits de trésorerie d’une valeur de 326milliards d’euros5

 

Des avancées significatives en termes de gains

Fondée en 2020 et soutenue par des actionnaires et partenaires de dette puissants tels que Bpifrance, Eurazeo, Otium Capital ou encore Citigroup, Silvr fait état d’avancées significatives6 dans le traitement des données d’entreprise brutes et peu qualifiées issues de ses clients entreprise en recherche de financement. 

Grâce à des processus automatisés qui raffinent et catégorisent ces données, la fintech affirme être en mesure de reconstituer les tableaux de trésorerie de ses clients TPE / PME en un temps record de douze secondes pour un coût modique d’un euro, comparé à une moyenne de soixante euros, nécessitant deux heures de travail essentiellement manuelles dans une banque traditionnelle. 

Sur cette base, les accords de financement de Silvr peuvent être octroyés de manière quasi instantanée après évaluation du profil financier et de l’activité historique et future de l’emprunteur. 

 

Une question d’équité 

À première vue, la TPE ou PME française bénéficie donc pleinement de ces nouveaux gains dans le processus d’octroi d’un crédit. L’emprunteur accède à une nouvelle source de financement dans des délais très courts et à des conditions de marché grâce à une meilleure exploitation de ses données d’entreprise à la base sans grande valeur unitaire du fait de leur dispersion.

Cependant, cette production à très bas coût de nouveaux crédits suscite des questions quant à l’équité dans la répartition des gains pour des entreprises qui fournissent gratuitement leurs données les plus sensibles. Celles-ci participent à alimenter des algorithmes dont le fonctionnement est largement opaque. Cette production peut aussi avoir un coût parfois très élevé pour l’emprunteur. Elle peut être par exemple facturée jusqu’à 9% des montants financés chez Silvr7.

Il est indéniable que nous en savons encore très peu sur la conception, le fonctionnement, le coût réel et la fiabilité des résultats de ces algorithmes rarement soumis à des audits. De plus, ces algorithmes sont à la fois juges et parties dans le processus d’octroi du crédit. Ils notent l’entreprise, instruisent et évaluent la demande de crédit tout en prenant dans la même temporalité la décision d’accorder ou refuser le financement.

 

Le droit de savoir

Une PME qui consent donc à ce que ses données soient massivement aspirées et traitées gratuitement par les algorithmes propriétaires de ces fintech à des fins d’obtention d’un financement pourrait légitimement demander à connaître sa notation, dans le cas par exemple d’une décision d’octroi qui ne jouerait pas en sa faveur. 

A contrario, en cas de bonne notation, elle pourrait être amenée à exiger une portabilité de son score pour maximiser d’autres gains en dehors de sa simple relation contractuelle avec la fintech. 

Depuis octobre 2009, dans le monde de la finance traditionnelle, la loi Brunel impose aux établissements bancaires l'obligation de fournir aux entreprises « qui sollicitent un prêt ou bénéficient d'un prêt une explication sur les éléments ayant conduit aux décisions de notation les concernant, lorsqu'elles en font la demande8 ». 

Cette obligation devrait en toute logique également s’appliquer aux start-up financières qui participent à noter les entreprises à des fins de financement, bien qu’elles ne soient pas des établissements bancaires au sens traditionnel et juridique du terme. Pourtant, lors d’une récente table ronde sur les financements alternatifs, Defacto et Silvr ont admis ne pas fournir ces données sensibles de notation à leur clientèle9

Toutefois, Defacto affirme être en mesure d’expliquer à ses clients, qui en font la demande, les décisions de son algorithme en se basant sur 5 à 6 indicateurs clés. D’une certaine manière, la fintech applique donc déjà, sans la citer, la loi Brunel et son principe du « droit de savoir ».

Silvr, de son côté, reconnaît que d’un point de vue général, les résultats d’un algorithme peuvent être sujets à débat. Au sein de la start-up, ces questions sont davantage abordées avec ses partenaires stratégiques qu’elles ne le sont avec ses clients financés. On comprend entre les lignes que ces derniers ne se préoccupent pas beaucoup du processus ayant conduit à la décision d’octroi, ni de leur score issu de l’algorithme.

 

En quête d’innovation

En matière de notation de TPE et de PME, et comme le rappelait Le Monde dans un article du 30 août dernier10, la Banque de France attribue chaque année « aux sociétés domiciliées en France dont le chiffre d’affaires dépasse 750.000 euros une note qui évalue leur santé financière » et ceci « grâce à son réseau d’un millier d’analystes répartis dans l’Hexagone ».

Malgré ce tour de force qui représente tout de même chaque année, selon le journal, « quelque trois cent mille sociétés notées », les acteurs innovant sur le marché de la notation perçoivent la Banque de France comme une institution en quasi-monopole dans ce domaine, ce qui, de leur point de vue, freine l’innovation en matière de scoring. Cette situation empêcherait les entreprises françaises de maximiser les avantages tirés de la valeur de leur notation.

Au cœur des débats entourant les notations financières11, Arnaud Caudoux, Directeur général adjoint de Bpifrance, offre une perspective éclairante, soulignant la nécessité impérieuse de rendre les notations des TPE et PME aussi réactives que possible, afin de mieux servir les entreprises emprunteuses. Dans cette optique, il est crucial que la notation d'une entreprise évolue pour devenir plus dynamique, offrant une représentation constamment actualisée de la santé économique et financière de l’emprunteur. 

Une telle avancée permettrait ainsi d'accroître la valeur de la notation pour l'entreprise notée. Dans cette dynamique, Mark Kepeneghian, fondateur de Kriptown, une entreprise dédiée à la facilitation du financement en fonds propres pour les PME à l'aide d'actifs numériques, a annoncé avoir entamé des pourparlers avec la Banque de France12.

Ces initiatives et la pression croissante pour la transparence des notations pourraient inciter les acteurs de la finance alternative à explorer la possibilité de portabilité de leurs notations innovantes vers d'autres référentiels utiles aux TPE/PME, ouvrant ainsi la voie à une exploitation accrue de leur valeur.

 

  1. Littéralement « interface de programmation applicative », une API est un programme permettant à deux applications distinctes de communiquer entre elles et d’échanger des données. Ainsi, une API peut pratiquement permettre à une entreprise d'accéder aux services d’une ou plusieurs autres entreprises (Source : L'Open Banking : un nouveau territoire pour les banques – Infographie - Études Économiques Groupe Crédit Agricole)
  2. L’Open Banking est un mouvement réglementé d'ouverture des données bancaires permettant à de nouveaux acteurs d'accéder aux informations financières de clients sous réserve de leur accord préalable par le biais d'applications tierces de type API (Source : L'Open Banking : un nouveau territoire pour les banques – Infographie - Études Économiques Groupe Crédit Agricole)
  3. Clôture en février 2022 d’une Série A de 130 millions d'euros obtenus notamment auprès de Bpifrance, Kima Ventures accompagnés de « Fintech Angels » comme Alexandre Prot (co-fondateur de Qonto), Louis Chatriot co-fondateur d’Alma) ou encore Raphaël Vullierme (co-fondateur de Luko). Sécurisation en juin 2023 d’une facilité de crédit pouvant aller jusqu’à 200 millions d’euros auprès de Citigroup et de Channel à des fins de titrisation des encours produits (Sources : site web société, Pitchbook, presse)
  4. Montant agrégé d’une levée de fonds et d’une facilité de crédit (Source : Pitchbook)
  5. En juillet 2023, l'encours des crédits de trésorerie aux sociétés non financières atteignaient les 325,9 milliards d’euros (Source : Banque de France)
  6. 11. 12.   Le décollage des financements alternatifs pour les entreprises : mythe ou réalité ? Conférence BIG du 5 octobre organisée par Bpifrance
  7. Silvr mise sur la titrisation pour partir à la conquête de l’Europe (maddyness.com)
  8. LOI n° 2009-1255 du 19 octobre 2009 tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers (1) - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
  9. Le décollage des financements alternatifs pour les entreprises : mythe ou réalité ? Les Études Économiques du Groupe Crédit Agricole ont assisté à cette conférence du 5 octobre 2023 et interrogé Defacto et Silvr sur leur politique de divulgation de leur score aux emprunteurs.
  10. Comment la Banque de France note les entreprises (lemonde.fr)

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