Jules Méline, figure méconnue de l’agriculture française
Parmi les grands hommes qui ont permis au Crédit Agricole d’émerger à la fin du 19e siècle, Jules Méline occupe une place prépondérante par l’importance et la durée de son action. Pourtant, aucune biographie ne lui a encore été consacrée. Décédé il y a cent ans cette année, un colloque soutenu par la Fondation Maison de Salins vient d’être organisé à Remiremont, sa ville natale, et au ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire. Cet évènement permet de ranimer le souvenir de cette figure des débuts de la IIIe République et de rappeler son action déterminante pour le Crédit Agricole.
Un républicain vosgien
Jules Méline naît à Remiremont, dans les Vosges, le 20 mai 1838. Son père a été clerc de notaire puis greffier de paix en même temps qu’il occupait l’emploi d’agent général de la compagnie d’assurance L’Union. Sa mère était quant à elle la fille d’un notaire établi dans une commune rurale, toujours dans les Vosges. Il fait sa scolarité sur place et passe un concours pour entrer dans l’administration fiscale. Il décide cependant de poursuivre ses études à Paris et devient docteur en droit. Il se dirige alors vers la profession d’avocat.
En 1867, Jules Méline épouse la fille d’un industriel du textile vosgien. Il est donc alors bien inséré dans la petite bourgeoisie locale et s’intéresse à la politique. Opposé à l’Empire, il accueille avec enthousiasme l’avènement de la IIIe République. Adjoint au maire du 1er arrondissement de Paris, il est élu membre de la Commune de Paris le 26 mars 1871 mais démissionne rapidement. Il est élu député des Vosges de 1876 à 1903 puis sénateur du même département de 1903 jusqu’à sa mort en 1925. Il a également été conseiller général des Vosges de 1871 à 1907.
L’intérêt pour l’agriculture
A priori, rien ne prédisposait Jules Méline à s’intéresser au monde agricole. Ses liens familiaux l’orientent au départ vers la défense de l’industrie textile et il fonde d’ailleurs le Syndicat général de l’industrie cotonnière française. Sa première expérience ministérielle se passe à la Justice comme sous-secrétaire d’État en 1877. Il lui faut ensuite attendre six ans pour accéder à de nouvelles responsabilités ministérielles.
C’est en effet en 1883 que Méline devient ministre de l’Agriculture qui est alors en crise. Membre de la mouvance des républicains modérés, il pense qu’il faut soutenir la petite agriculture, celle-ci représentant alors la majorité de la population française, pour faire pénétrer dans le pays les idées démocratiques et républicaines. Durant les deux années qu’il passe au ministère, il prend des mesures à la fois pratiques et symboliques. Tout d’abord, il fait voter des textes protectionnistes pour lutter contre la concurrence des importations étrangères. Il crée aussi l’ordre du Mérite agricole pour que l’agriculture soit plus largement reconnue au sein des grands ordres honorifiques de la nation. Durant cette période de responsabilité au ministère de l’Agriculture, même s’il n’y est pour rien, Méline a pu entendre parler de l’expérience de Louis Milcent et Alfred Bouvet qui créent la première caisse locale de Crédit Agricole à Salins-les-Bains en février 1885.
Les grandes lois d’organisation du Crédit Agricole
Lorsque le gouvernement de Jules Ferry, auquel il appartient, tombe, Jules Méline reste député et est élu président de la Chambre de 1888 à 1889. Il continue à s’intéresser aux questions agricoles en faisant notamment voter de nouvelles lois protectionnistes. C’est en tant que député, en s’inspirant de l’expérience de Salins-les-Bains, qu’il promeut le texte qui deviendra la loi du 5 novembre 1894 permettant la création de caisses locales de Crédit Agricole. Les débats opposent Méline à Jaurès : le premier souhaite fonder ces nouvelles institutions sur le seul mutualisme quand le second voudrait un « socialisme agraire » appuyé sur une institution d’État. Ces oppositions sont de principe et, finalement, le projet est voté à l’unanimité.
Lors du centenaire de la loi de 1894,
la Caisse nationale a fait faire une reconstitution des débats parlementaires.
Cependant, le Crédit Agricole naissant se trouve rapidement confronté à l’absence de financement. Si des caisses locales sont bien créées, celles-ci manquent cruellement de moyens, les sommes apportées par les premiers sociétaires n’étant pas suffisantes pour financer les demandes de prêts. Jules Méline profite de son retour aux responsabilités ministérielles en 1896 pour faire avancer les choses. Président du Conseil des ministres et une nouvelle fois ministre de l’Agriculture, il fait voter une loi en 1897 qui impose une dotation et des avances de l’État aux organismes de crédit agricole. Son gouvernement, après 26 mois – un des plus longs de la IIIe République –, chute le 28 juin 1898.
Les caisses locales, mutualistes, peuvent donc émergées et être financées. La structure institutionnelle manque cependant d’organisation. Jules Méline, avec notamment Albert Viger, porte une nouvelle loi qui est votée le 31 mars 1899. Celle-ci permet la création de caisses régionales pour servir de banques centrales aux caisses locales de leur ressort ainsi qu’une commission de répartition des avances de l’État à ces nouvelles caisses régionales. L’organisation du Crédit Agricole est alors presque achevée avec les deux niveaux territoriaux – caisses locales et régionales – et un embryon d’organe central avec la commission de répartition – celle-ci sera remplacée en 1920 par un établissement public, l’Office national du Crédit Agricole.
Un praticien du Crédit Agricole
Une fois la « pyramide institutionnelle » du Crédit Agricole mise en place, Jules Méline continue à s’investir dans le nouvel organisme mais cette fois-ci comme praticien. En parallèle de ses fonctions politiques, il avait déjà créé une caisse locale à Remiremont en 1895. Après la loi de 1899, il participe à la fondation de la « Banque régionale agricole de l’Est », une des premières caisses régionales, et est membre de la commission de répartition des avances de l’État. Au sein de cette institution qui rassemble des délégués des caisses régionales, des députés, des sénateurs et des représentants des ministères de l’Agriculture et des Finances, les débats sont parfois vifs sur les orientations que doit prendre le Crédit Agricole et Méline y prend toute sa part jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Durant le conflit, il retrouve une dernière fois le portefeuille de l’Agriculture du 29 octobre 1915 au 12 décembre 1916. Il dépose alors un projet de loi sur la mise en culture des terres abandonnées, du fait de la guerre, avec le concours du Crédit Agricole.
Jules Méline meurt à Paris le 21 décembre 1925. Il laisse le souvenir d’un protecteur inlassable de l’agriculture française. C’est tout le sens de l’hommage que lui rend le président de la Caisse régionale de l’Est lors de son assemblée générale du 24 février 1926 : « En ouvrant la séance, le président tient à rappeler que nous avons perdu au mois de décembre dernier le fondateur des caisses régionales, M. Jules Méline. L’agriculture perd en lui son meilleur défenseur. Toute sa vie politique n’a été qu’un long et persévérant effort pour faire rendre à la terre son maximum de production et améliorer les moyens de production des agriculteurs. Sa bienveillance proverbiale lui a attiré la reconnaissance de tous ceux qui ont eu recours à lui. Nous perdons en lui un défenseur toujours en éveil et un appui dévoué ».