Le Crédit Agricole et l’indépendance de l’Algérie
Il y a 60 ans étaient signés les accords d’Evian, cessez-le-feu qui allait conduire à l’indépendance de l’Algérie après de longues années de guerre. Cet évènement a eu plusieurs impacts sur le Crédit Agricole.
Le crédit agricole en Algérie
La question du crédit à l’agriculture en Algérie date de bien avant la colonisation française. Après plusieurs tâtonnements et essais malheureux, le système institutionnel métropolitain du Crédit Agricole a cependant fini par être dupliqué en Algérie : des caisses locales, des caisses régionales et, à partir de 1935, une Caisse algérienne de crédit agricole mutuel (CACAM) assument le financement de l’agriculture coloniale. Cette organisation, rattachée au ministère des Colonies, ne dépend donc pas de la Caisse nationale parisienne. De même, tout comme la Caisse nationale métropolitaine bénéficie alors d’avances de la Banque de France, la CACAM bénéficie de celles de la Banque d’Algérie1.
Affiche de la Caisse régionale d'Alger (années 1930, collection des archives historiques de Crédit Agricole SA).
La fin des hostilités et le retrait de la France pose cependant la question de l’avenir des 131 collaborateurs fonctionnaires de la CACAM. Un décret du 11 septembre 1962 impose l’intégration de ceux-ci dans les corps correspondants de la Caisse nationale métropolitaine. Fin novembre, ce sont trente-sept agents qui ont déjà pris leurs fonctions2. L’exemple le plus significatif est celui de Louis-Frédéric Lebeau (1902-1972), directeur général de la CACAM depuis sa création, devenu ainsi un éphémère directeur des services financiers de la Caisse nationale jusqu’en novembre 1963. Il faut cependant noter qu’à cette époque la Caisse nationale connait des difficultés d’organisation liées au fort développement de son activité et au manque de personnel qui en découle. L’arrivée des agents de la CACAM a donc pu apporter un début de solution à ce problème.
L-F Lebeau, directeur général de la CACAM puis directeur des services financiers de la CNCA.
Les prêts aux rapatriés
Parallèlement à ces questions institutionnelles et de ressources humaines, le problème plus large du rapatriement d’un million de Français d’Algérie nécessite de prendre des mesures fortes pour accompagner leur installation en métropole.
Concernant le Crédit Agricole, un arrêté du 8 juin 1962 encadre les prêts qui peuvent être accordés au rapatriés désireux de s’installer sur une exploitation agricole. Il s’agit principalement de prêts à 3 % sur vingt ans. Entre 1963 et 1965, 25 % des prêts fonciers du Crédit Agricole sont accordés à des rapatriés3. Ceux-ci peuvent aussi bénéficier des prêts aux migrants ruraux qui permettent à des agriculteurs issus d’une région agricole dynamique de s’installer dans des aires touchées par l’exode rural.
Questionnaire pour les agriculteurs rapatriés d'Algérie (fonds archives historiques de Crédit Agricole SA).
La mise en place de cette politique de prêts spéciaux rencontre cependant plusieurs types de freins tant psychologiques que financiers. Si les agriculteurs rapatriés semblent se tourner spontanément vers le Crédit Agricole pour le financement de leur réinstallation, les déclarations par voie de presse de leur association qui précise que les « rapatriés s’engagent à ne rembourser aucun prêt » sèment le trouble4. Les caisses régionales demandent donc que l’Etat, donc la Caisse nationale, se porte garant à 100 % et non plus à 20 % comme prévu. Cette demande sera satisfaite en 1969. Néanmoins, les relations s’avèrent parfois tendues entre certaines caisses régionales qui peinent à récupérer le remboursement des prêts et des agriculteurs rapatriés récalcitrants. Des incidents sont à déplorer, notamment à Montauban5. De plus, l’arrivée de cette population nouvelle en quête d’exploitations renchérit le coût de la terre dans certaines régions, pénalisant de jeunes agriculteurs locaux eux aussi désireux de s’installer.
Dans ces conditions, le résultat de ces prêts ne peut être que variable selon les régions et les individus qui ont pu en bénéficier. Pour l’historien André Gueslin, nombre des paysans rapatriés ne se sont pas adaptés aux conditions agricoles métropolitaines (différences de types de cultures, de climat…) et n’ont pas pu ou su opérer une reconversion satisfaisante. Néanmoins, certains ont réussis à pérenniser leur exploitation, et, de là, à s’insérer dans les organismes professionnels. C’est tout le sens du témoignage d’Hubert Sendra qui a été administrateur de la Caisse régionale du Gard à partir de 1982 avant d’en être le président de 1992 à 1998 : «Lorsque je suis arrivé d’Afrique du Nord, je n’avais rien. Les indemnisations de l’Etat tarderont à venir. J’ai reçu un bon accueil du directeur général de la Caisse qui m’a fait confiance. La réciprocité voulait que je rembourse à bonne date, ce que j’ai fait. Avec le premier prêt, j’ai acheté une trentaine d’hectares que j’ai planté en pêchers. La crise arrivant, en 1973, après une nuit blanche, j’ai tout arraché et replanté des vignes. J’ai encore trouvé la caisse pour un nouveau prêt6».
A partir du début des années 1970, la politique de prêts spéciaux du Crédit Agricole aux rapatriés d’Algérie ne soulève plus de question. Cet épisode est cependant significatif de la faculté d’adaptation de l’institution à différentes tranches de la société. Ces prêts aux rapatriés se sont en effet ajoutés à différents prêts dits «sociaux» déjà en vigueur à l’époque (pour les jeunes, les anciens prisonniers de guerre, les migrants ruraux…).
NB
- 1 Sur ces questions, voir : J. Gernigon, Le Crédit agricole en Algérie et le développement, thèse de l’EPHESS, 1970 ; André Gueslin, Histoire des crédits agricoles, tome 1, Paris, Economica, 1984, p. 547-548.
- 2 Archives historiques de Crédit Agricole SA, procès-verbaux du conseil d’administration de la CNCA des 14 septembre et 30 novembre 1962.
- 3 André Gueslin, Histoire des crédits agricoles, tome 2, Paris, Economica, 1984, p. 203. Voir aussi Hubert Bonin, Le Crédit Agricole, de la banque des campagnes à la banque universelle, Genève, Droz, 2020, p. 75-76.
- 4 Archives historiques de Crédit Agricole SA, lettre de la Caisse régionale du Tarn à la CNCA du 3 novembre 1962 (dossier L1990-019-B002).
- 5 A. Gueslin, op. cit., tome 2, p. 204.
- 6 Alain Borderie, Les Chemins du Gard, le Crédit agricole du Gard, la banque mutualiste au service de son département, Editions Public Histoire, 2005, p. 128.