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À l’approche des élections générales en Inde, Narendra Modi fait face à la colère des agriculteurs

Les agriculteurs indiens sont aux portes de New Delhi pour demander une revalorisation des prix planchers des céréales qu’ils cultivent et l’élargissement de ce mécanisme à toutes les cultures. Ce n’est pas la première fois que des manifestations de la sorte éclatent dans ce pays où près d’un habitant sur deux tire encore son revenu principal de l’agriculture. Entre novembre 2020 et 2021, les paysans indiens avaient campé près d’un an autour des grandes villes, afin de réclamer le retrait d’une loi qui libéralisait la fixation du prix des céréales. 

Cette fois-ci, l’enjeu est d’autant plus important que les élections générales doivent se tenir entre avril et mai. S’il y a peu de doutes sur l’issue du scrutin, qui devrait consacrer une nouvelle fois Narendra Modi et son parti (le BJP) et offrir à ce dernier un troisième mandat de Premier ministre, la gestion de cette nouvelle crise demeure essentielle pour l’image du dirigeant. En 2021, la répression des manifestations avait coûté la vie à près de 700 personnes. Les fermiers étaient finalement rentrés dans le nord de l’Inde (dans les États du Penjab et de l’Haryana, principaux producteurs de riz et de blé) avec la promesse qu’une commission de réflexion autour des prix minimums garantis pour les récoltes dans l’ensemble du pays serait créée. 

Plus de deux ans plus tard et alors qu’aucune décision n’a été prise, la colère gronde de nouveau. Il faut dire que l’Inde n’a pas été épargnée par l’inflation : celle des produits énergétiques d’abord, dont elle est importatrice nette (le pétrole représente environ 25% des importations totales du pays), puis des produits alimentaires et notamment des légumes, dont les cultures sont de plus en plus affectées par le changement climatique. Ces trois dernières années, l’Inde a dû faire face au dérèglement des moussons, qui rythment les récoltes, ainsi qu’à d’intenses vagues de chaleur. Résultat, les salaires réels n’ont pas suivi, malgré les bonnes performances de la croissance (7,2% en 2022, 6,3% en 2023). 

L’extrême informalité du marché du travail indien (90% des travailleurs n’ont pas de contrat de travail) couplée au poids de la ruralité expliquent que les salaires n’aient pas suivi, en raison notamment de l’absence de contre-poids pour négocier des revalorisations. 

Les yeux de Modi sont tournés vers l’industrie

Malgré cette crise du monde agricole qui perdure, c’est vers l’industrie que se concentrent toujours les efforts budgétaires. Faisant de son année de présidence du G20 une tribune pour attirer de nouveaux investisseurs et promouvoir l’Inde comme alternative à la Chine, Narendra Modi a enregistré quelques succès très médiatisés, notamment dans le domaine de la téléphonie. Apple, Samsung et Google produisent maintenant une partie de leurs téléphones dans le pays. Les simples chaînes d’assemblage ont laissé place à des usines plus modernes et le réseau de fournisseurs s’est étoffé grâce à l’arrivée de sous-traitants taiwanais. 

L’Inde, pays encore très protectionniste, s’est engagée dans une double stratégie d’insertion dans les chaînes de valeur et de substitution aux importations, à travers le programme Make in India visant à accroître la part de la valeur ajoutée manufacturière de 17% à 25% du PIB. Quatorze secteurs, de l’automobile à l’agroalimentaire en passant par l’électronique, sont particulièrement ciblés et bénéficient d’investissements publics ou d’allègements fiscaux. Cette stratégie se heurte toutefois aux insuffisances du pays en termes d’infrastructures et de logistique, surtout quand on le compare à son rival chinois. 

L’Inde ne compte que pour 1,8% des exportations mondiales, contre 14,7% pour la Chine, ce qui la place au niveau du Vietnam. L’existence de barrières tarifaires et non tarifaires très élevées, le poids de la bureaucratie, la corruption endémique jusqu’au plus haut niveau de l’État ainsi que l’arbitraire de certaines décisions publiques freinent l’appétit des investisseurs, qui ont encore du mal à se projeter dans le pays. Comparé à ses autres concurrents asiatiques (Philippines, Malaisie, Thaïlande et surtout Vietnam), l’Inde pèche par son degré d’ouverture insuffisant : les entreprises positionnées en milieu de chaînes de valeur, et donc susceptibles de produire des biens à plus forte valeur ajoutée, sont souvent gênées par l’insuffisance du tissu industriel en amont et les difficultés à importer les biens intermédiaires dont elles auraient besoin.

Au-delà d’un site de production, c’est évidemment l’immense marché intérieur que regardent les investisseurs qui s’intéressent à l’Inde. Le pays a détrôné la Chine comme première puissance démographique mondiale, mais se débat encore avec une pauvreté endémique, résumée par l’indice d’inflation : 50% de la contribution à la hausse des prix provient des prix alimentaires, qui constituent donc souvent le premier poste de dépenses des ménages. 

Si l’enjeu industriel est fort, car au cœur de la stratégie de développement à moyen terme du pays, Narendra Modi ne pourra ignorer longtemps les souffrances du monde agricole, qui constitue toujours la majorité de l’électorat indien. Mais, alors que la « plus grande démocratie du monde » s’apprête à se rendre aux urnes, il n’est pas exclu que le Premier ministre continue sa campagne de répression qui a vu reculer la liberté d’expression et les droits de certaines minorités, au profit d’un discours et de mesures de plus en plus nationalistes et autoritaires. Dans ce contexte et alors que l’opposition peine toujours à se structurer et à représenter une alternative forte, la répression par la force des manifestations des fermiers est plus que probable. Leurs tracteurs aux portes de New Delhi ne font sans doute pas partie des plans de célébration de la victoire future de Modi.

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