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Barre au centre : le laboratoire italien, avant-poste du recul de l’antisystème en Europe ?

Une fois de plus, la politique italienne se présente comme un laboratoire avancé des scénarios politiques. Tout comme avec l’élection de Joe Biden aux États-Unis, le panorama politique italien se redessine dans une configuration qui pourrait laisser penser à un échec, du moins momentané, des forces antisystème.

parlement Italien

Le compromis socio-démocrate incarnant l’orientation technocratique scientifique avait été défié et décrié par l’antisystème, qui lui reprochait son abdication face au néolibéralisme, son incapacité à gérer la grande crise économique et financière, son acceptation passive du déclin des économies occidentales. Pourtant, après quelques expériences de gouvernement, les forces antisys-tème sont écartées du pouvoir. On aurait pu s’attendre, par une sorte de retour de balancier, que ce soient les forces progressistes qui s’imposent à leur tour. Or, ce sont bien les forces socio-démocrates et libérales qui reviennent au pouvoir. C’est le cas aux États-Unis où l’aile modérée des démocrates l’a emporté sur l’aile progressiste. C’est aussi le scénario qui se dessine cette semaine en Italie, où l’axe du grand centre balaie la tentative de construire un axe progressiste à gauche par la convergence stratégique du mouvement antisystème M5S vers la gauche traditionnelle et radicale. Ce nouveau compromis large sera-t-il la bonne solution pour écarter durablement le risque antisystème ?

Italie : une redistribution totale des cartes

Avec le retrait de son soutien à l’alliance de gouvernement entre la gauche traditionnelle et radicale (Parti démocrate et Liberi e Uguali) et le M5S, M. Renzi, fondateur du parti de centre-gauche, Italia Viva, pose le premier jalon de son projet de reconstitution d’un grand centre, qui relèguerait à la marge de l’échiquier politique les principaux acteurs populistes qui ont occupé la scène depuis 2018 (M5S, Fratelli d’Italia et, dans une moindre mesure, la Ligue).

En Italie, c’est une personnalité extérieure à la politique, M. Draghi, précédent gouverneur de la Banque centrale européenne, à laquelle les partis du centre (centre-gauche et centre-droit) souhaitent confier la tâche de gouverner. L’absence d’une personnalité politique forte au centre et un système électoral à forte connotation proportionnelle ne permettent en effet pas un essor « à la Macron ».

Ce recentrage ne pourra se faire qu’avec le soutien du M5S ou de la Ligue. De ce fait, il pourrait avoir pour conséquence une fracture définitive au sein du M5S entre l’aile gouvernementale et l’aile « mouvementiste » et consolider la transformation du mouvement antisystème dans une force progressiste plus conventionnelle. Cela entérinerait forcément des pertes à la faveur de l’abstention ou de la droite antisystème. Il aura aussi des conséquences à droite, en repositionnant vers le centre l’alliance de droite entre Forza Italia, la Ligue et Fratelli d’Italia. Si S. Berlusconi, avec Forza Italia, est revenu au cœur du jeu politique en apportant son soutien à M. Draghi, la Ligue voit  son questionnement existentiel s’accélérer.

La question du soutien à M. Draghi va fournir des arguments et de l’influence à l’aile traditionnelle de G. Giorgetti qui travaille depuis longtemps à un recentrage de la Ligue, avec pour objectif la réactivation d’un canal de communication avec la droite traditionnelle européenne et l’adhésion au Parti populaire européen. La « normalisation » de la Ligue affaiblirait la position de M. Salvini et pourrait entraîner des départs de son aile souverainiste en faveur de Fratelli d’Italia, qui profite déjà largement de la surenchère nationaliste.

Les fronts antisystèmes – à droite comme à gauche – pourraient ainsi, du moins temporairement, s’affaiblir, tout comme le front progressiste formé par la gauche radicale et le M5S.

Le compromis socio-démocrate à l’épreuve de la dernière crise

C’est donc la réponse modérée plutôt que la réponse progressiste qui est de nouveau proposée comme alternative aux populismes. Cette réponse moins clivante peut-elle ramener au centre les électeurs et les partis et éloigner temporairement la vague populiste ? Cette question sera au cœur du nouveau cycle électoral qui s’ouvre en Europe et qui voit le retour aux urnes des pays européens (Pays-Bas, Allemagne, France et Italie).

La réussite et la survie même du compromis socio-démocrate passera par ses choix économiques. C’est un défi de reconstruction économique qui attend ces majorités recomposées. Ce compromis, qui domine encore aux niveaux national et supranational en Europe, sera-t-il capable de se libérer de la vision néo-libérale pour revenir sur des positions ordo-libérales plus classiques ? Les positions ordo-libérales, tout en soulignant les principes fondateurs de marchés ouverts, de respect de la propriété privée, de responsabilité des acteurs et de constance des politiques économiques, envisagent un rôle actif des institutions dans la correction des externalités, dans la limitation des pouvoirs monopolistiques et dans des politiques progressives des revenus pour éviter la concentration.

Ces positions semblent aujourd’hui plus aptes à répondre aux besoins de rééquilibrage du système. En effet, la crise de la Covid, en accélérant le processus de transformation structurelle de l’économie et de réallocation sectorielle, a renforcé la demande de protection et de redistribution. L’ordo-libéralisme est capable de dessiner les incitations correctes pour orienter la transformation des agents privés. Mais, il doit aussi apprendre à mieux dessiner les politiques d’accompagnement de cette transition qui ne générera pas que des gagnants. Donc, la question de la redistribution s’impose aussi et on pourra espérer que ce soit une vision « synergique » du système productif, d’une politique de l’offre vertueuse créant mais aussi  distribuant de la valeur qui l’emporte. Le principal défi des gouvernements sera donc de savoir placer le curseur au bon point d’équilibre entre incitation et accompagnement de la transformation avec une contrainte budgétaire de plus en plus mordante qui oblige à orienter l’élargissement de la base fiscale vers les rentes d’oligopole.
Des majorités larges incluant à la fois forces modérées et forces progressistes pourront-elles mieux affirmer ces principes et dessiner ces politiques ? Leur capacité à répondre à ces demandes et ces besoins sera clé pour interpréter l’avenir du risque politique en Europe comme ailleurs.

Paola Monperrus-Veroni

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