D’où vient et que veut l’électeur médian européen ?
Comme nous l’avions annoncé dans notre webconférence Élections européennes : continuité ou rupture ? du 17 mai 2024, les grands équilibres de la représentation parlementaire européenne ont été confirmés par les élections du 6-9 juin.
L’électeur médian européen est désormais l’électeur du PPE
Avec 190 élus et en ayant reporté 26.4% des voix le PPE gagne 14 sièges par rapport au Parlement sortant et s’affirme comme principale force politique européenne. L’électeur médian européen est désormais l’électeur du PPE, tandis qu’en 2019 c’était l’électeur de Renew.
Le PPE stabilise sa position en Allemagne où, avec 30 sièges, il rassemble son plus gros contingent, et en Espagne où il gagne 9 sièges (22 élus). Il progresse en Pologne (de 16 à 23 sièges) et en Hongrie (de 1 à 8 sièges) où il s’impose comme une alternative crédible au parti de V. Orban. En revanche, les contingents français et italiens se sont réduits (respectivement -8, à 6 sièges, et -12, à 9 sièges).
Les sociaux-démocrates de S&D enregistrent un score de 18,9% et limitent leurs pertes à 3 sièges, réussissant à garder 136 eurodéputés. C’est surtout en France et en Italie qu’ils progressent le plus, passant respectivement de 7 à 13 élus et de 15 à 21 élus. Le contingent socialiste allemand perd en revanche deux sièges et n’impose que 14 députés.
Le groupe des centristes et libéraux Renew essuie la plus grosse perte, avec seulement 80 députés contre 102 sortants. Il ne récolte plus que 11% des suffrages. Les plus grosses pertes sont attribuables au contingent français qui, avec 13 élus, en perd 10, et à la quasi-disparition de Ciudadanos en Espagne qui ne retrouve plus qu’un élu sur 9 auparavant. Les libéraux allemands du FDP gagnent un siège et, avec 8 députés, deviennent la deuxième composante du groupe après la France.
La grande coalition (PPE, Renew et S&D) sortante perd ainsi 11 sièges mais, avec 406 députés, elle reste majoritaire avec une marge de 44 sièges.
Le groupe des Verts, qui souvent apporte ses votes à la majorité, essuie d’importantes pertes et cède 19 sièges, principalement du fait de l’effondrement des Verts allemands (16 sièges contre 25 auparavant) et français (5 contre 12). Les Verts progressent en revanche au Danemark et en Suède.
La gauche plus extrême gagne 2 élus et, avec ses 39 élus, peut éventuellement changer la configuration si elle s’allie à d’autres partis.
Les vrais gagnants de l’élection sont les partis à la droite du PPE, les conservateurs des CRE (Conservateurs et réformistes européens) et les identitaires d’ID (Identité et démocratie), qui totalisent ensemble 16 députés supplémentaires. Par rapport aux sondages, ces gains peuvent paraître limités. Surtout, l’effondrement anticipé du PPE en leur faveur n’a pas eu lieu.
Le CRE, avec 76 sièges, constitue désormais la quatrième force politique européenne. Cette progression est principalement imputable au contingent italien de Fratelli d’Italia qui compte 14 députés de plus, soit 24 au total, et qui devient le principal parti du groupe, devançant le PiS qui, au contraire, a perdu 7 élus (de 27 à 20).
Les gains d’ID leur permettent de réunir 58 eurodéputés contre 49 dans le Parlement sortant, grâce surtout à la progression du Rassemblement national en France, qui gagne 12 sièges, et des contingents d’élus néerlandais (+6) et autrichiens (+3). Ils compensent ainsi la perte de 14 sièges du contingent italien de la Ligue.
Les partis non inscrits à un groupe parlementaire voient leur nombre d’élus baisser, en particulier le parti hongrois Fidesz (-3) et le Mouvement cinq étoiles italien (-2), tandis qu’Alternative für Deutschland (AfD), récemment exclue du groupe ID, a fortement augmenté ses effectifs (de 12 à 17) et se présente désormais comme la deuxième force politique d’Allemagne (avec 15,9% des suffrages), derrière la CDU et devant le SPD.
44 nouveaux élus en provenance de nouveaux petits partis non encore affiliés pourraient modifier les périmètres des groupes parlementaires existants. Les contingents nationaux importants de Fidesz et du M5S pourraient intéresser certains groupes parlementaires, tandis que la radicalisation de l’AfD devrait reléguer ce parti à un rôle plus solitaire. C’est surtout à droite du PPE que les groupes paraissent les plus fluides, mais les lignes de fracture entre, d’un côté, les partis pro-OTAN et pro-Union européenne que sont le PIS et Fratelli d’Italia dans le groupe CRE et, de l’autre, les partis plus russophiles et eurosceptiques d’ID (Rassemblement national et Ligue), rendent une union de ces droites compliquée. Elle constituerait néanmoins la troisième force politique avant Renew. Dans certains domaines (immigration), des accords de vote sont très probables.
Le leadership de droite demande une rupture
Le PPE sera donc le parti qui dictera la ligne politique européenne, disposant du choix, certes compliqué, d’une alliance politique alternative à sa droite. Mais une coalition de droite dite « constructive » avec Renew, le PPE et CRE en effet n’atteint pas la majorité et nécessite des apports d’ID. Le PPE s’est très naturellement retourné vers ses alliés de coalition historiques en affirmant que les électeurs lui ont attribué la responsabilité de travailler avec les partis avec lesquels il partage le plus en termes de valeurs : l’attachement à l’Union européenne, le respect de la règle de droit et un positionnement en faveur de l’Ukraine.
Un leadership du PPE autour d’un accord centriste se profile. Un accord de coalition qui vise à définir une direction claire, qui ne se détermine pas au gré du vote du Parlement, d’autant que ce vote serait plus dispersé que par le passé. Mais le PPE a aussi envoyé un message clair à ses partenaires : le vote de confiance des électeurs du PPE n’est pas un vote vers le passé, c’est un vote vers le futur. Le PPE demande donc une rupture par rapport à la politique passée, notamment pour prendre en compte les questions de la sécurité et des revenus des citoyens. Il demande aussi une clarification des lignes concernant trois domaines politiques : la transition énergétique, la politique agricole et la politique de l’innovation.
Les alliés de coalition ont répondu présent, mais à une condition : pas d’alliance avec les droites extrêmes. Renew s’est dit prêt à travailler sur ce qui unit, notamment les sujets de sécurité, le soutien à l’Ukraine et le renforcement du marché unique. Le groupe S&D souhaite rendre plus « social » le Pacte Vert et travailler à une stratégie « Made in EU ». Il accepte un élargissement de la plateforme de coalition, mais uniquement avec les Verts.
La continuité dans un Pacte vert pour l’industrie, la compétitivité et le renforcement du marché unique
Le premier test pour cette coalition sera le vote concernant la présidence de la Commission européenne. La coalition a, par le passé, fait preuve d’une grande discipline de vote (autour de 90%), mais cette discipline a été systématiquement inférieure lors du vote pour la présidence de la Commission européenne (autour de 80%). Cependant, cette fois-ci, on peut s’attendre à une plus forte cohésion car le principe du Spitzenkandidat1 est respecté. Ursula von der Leyen est la candidate du parti qui a remporté le plus de voix, ce qui n’était pas le cas en 2019 lorsque sa candidature avait été avancée par les centristes après leur refus de soutenir le candidat du PPE. Un accord semble avoir été obtenu au dernier Conseil européen sur la proposition de U. von der Leyen, avec un équilibre des partis dans les différentes institutions assuré par la candidature du Portugais A. Costa (S&D) au Conseil européen (à définir si pour un demi-mandat suivi par un membre du PPE ou un mandat entier) et de R. Metsola (PPE), suivie par un mandat de K. Barley (S&D) à la présidence du Parlement européen. Renew pourrait obtenir le poste de Haut représentant des affaires extérieures avec K. Kallas et la présidence de l’OTAN avec M. Rutte.
Ursula von der Leyen devrait, en théorie, assurer une certaine continuité dans l’action de la Commission et pourrait rassurer S&D et les Verts quant à la continuation du Pacte Vert. Cependant, dès son dernier discours sur l’état de l’Union, elle semble avoir intégré les résistances croissantes vis-à-vis de l’agenda vert. Elle sera donc obligée de s’écarter d’un agenda réglementaire qui, lors de son dernier mandat, avait imprimé un rythme très soutenu, garantissant à terme un marché vert européen très attractif. Le cadre règlementaire ayant été posé, la tâche de la prochaine Commission sera celle d’œuvrer à la construction des conditions de profitabilité de court-moyen terme des productions vertes dans l’UE et pour le maintien d’une base de production manufacturée décarbonée sur le continent. C’est donc sur l’exploitation du potentiel du marché unique, de l’innovation et sur l’amélioration de la compétitivité que la droite et les libéraux peuvent se retrouver, et sur le renforcement des politiques industrielles vertes et sur la protection du marché unique et l’inclusivité de la transition que les sociaux-démocrates peuvent les rejoindre.
Mais qui prendra l’initiative politique ? La perte d’influence de la France dans tous les groupes politiques au Parlement européen, à l’exception d’ID, aura des conséquences sur l’axe franco-allemand, qui ressort affaibli dans les deux institutions, Parlement européen et Conseil européen. Pourra-t-il avoir la même force de proposition que par le passé ? Des alliances à géométrie variable entre pays seront probablement plus fréquentes qu’avant.
1 "Spitzenkandidat" signifie "candidat principal" en allemand et désigne, dans le contexte européen, le candidat principal d'un parti politique européen à la présidence de la Commission européenne.