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Donald Trump était en grande tournée en Asie pour la première fois depuis son investiture. Première escale en Malaisie, afin d’assister au sommet de l’Asean et de finaliser les traités commerciaux négociés pendant l’été, ainsi que des accords autour des terres rares.

Dans un mélange des genres dont il a le secret, Donald Trump a aussi mis en scène la signature d’un « accord de paix » entre le Cambodge et la Thaïlande. Ces deux pays ont en effet connu un regain de tensions en juillet : sur fond de conflit politique et frontalier, des affrontements au sol ont fait au moins 43 morts et contraint au déplacement de plus de 300 000 habitants. Les trois pays impliqués (le Cambodge, la Thaïlande et la Malaisie, qui tenait un rôle de médiation) avaient d’ailleurs vu leurs négociations commerciales avec les États-Unis se débloquer « grâce » au conflit : à la suite du premier cessez-le-feu, déjà conclu sous le parrainage américain, ils avaient ainsi vu leurs « tarifs réciproques » passer à 19%. 

Une manière pour Donald Trump de réaffirmer sa posture de « président de la paix », le Cambodge était même allé jusqu’à indiquer son soutien au président américain pour le prix Nobel de la Paix.

 

L’obligation du « deal »

Pour ces pays d’Asie du Sud, qui ont bâti leur modèle de développement sur l’insertion dans le commerce extérieur, signer un accord avec les États-Unis, qui figurent parmi leurs principaux clients, était essentiel. Voilà pourquoi ils ont sûrement accepté cette mise en scène, ainsi que des conditions qui leur sont assez défavorables, pour conserver leur accès au marché américain. 

Bien que l’Asean1 serve théoriquement de plateforme permettant de coordonner les positions de ses membres dans le cadre de négociations commerciales, les derniers mois ont montré que, face aux États-Unis, les pays de l’alliance agissaient de manière individuelle et a priori sans concertation. Dès lors que l’un des membres avait obtenu un accord, il était donc indispensable pour les autres d’en faire de même, et de s’assurer d’avoir des conditions tarifaires globalement équivalentes. Les pays de l’Asean sont en effet globalement positionnés sur des chaînes de valeur semblables, et sont en concurrence sur certains marchés (notamment le textile et l’électronique). 

Le 2 avril, l’Asie s’était retrouvée en première ligne de la vague tarifaire annoncée par l’administration américaine. Cela n’avait rien de surprenant : la « formule »2 utilisée permettait en effet de pénaliser les pays qui présentaient de larges excédents commerciaux (de marchandises) sur les États-Unis. Or, sur les dix plus gros déficits bilatéraux américains, sept le sont vis-à-vis des pays asiatiques. 

Parmi ces pays figurent des partenaires et alliés de premier rang pour les États-Unis (Corée du Sud, Japon, Taïwan), qui n’ont pas pour autant été épargnés par les tarifs, la Chine bien sûr, et les pays de l’Asean qui ont vu leurs exportations vers les États-Unis progresser rapidement depuis 2018, en raison d’une stratégie de diversification mise en place par les entreprises pour échapper aux premiers droits de douane américains imposés à la Chine

En plus d’être un partenaire commercial de premier plan, les États-Unis sont aussi le premier investisseur étranger dans l’Asean (74,7 milliards de dollars d’IDE en 2023, dernière donnée disponible), loin devant la Chine (17,5 milliards de dollars). Plus de 6 000 entreprises américaines sont présentes dans la zone, et soutiennent plus de 600 000 emplois directs. 

Les pays d’Asie du Sud, et notamment le Vietnam, la Thaïlande et la Malaisie sont ainsi devenus des plateformes de transbordement et de réexportation de produits chinois, mais ont tout de même réussi à capter une partie de certaines chaînes de valeur. Le phénomène s’est intensifié depuis le début de l’année : les courbes des importations américaines depuis la Chine et l’Asean se sont croisées, atteignant respectivement 9,4% et 14,6%. 

Le problème est que ces pays restent dépendants des entreprises étrangères, qui trustent le secteur des exportations : au Vietnam, 70% des entreprises exportatrices sont à capitaux étrangers. Cela signifie que, dans les secteurs moins intensifs en capital (c’est-à-dire ceux dans lesquels l’amortissement des actifs prend moins de temps) où la compétitivité-prix domine, les multinationales ont la possibilité d’adapter leur stratégie à l’environnement douanier. Impossible donc de laisser un pays voisin – mais concurrent – négocier un meilleur taux : le deal était nécessaire. 

Donald Trump a ensuite fait escale en Corée du Sud, où son agenda était également très chargé : sommet de l’Apec (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique), signature d’un nouvel accord commercial avec le président coréen, Lee Jae-myung, et surtout rencontre avec Xi Jinping, une première depuis juin 2019. Là encore, un accord a été annoncé, mais son contenu exact reste encore à préciser. 

 

Que contiennent les accords ?

Sans surprise, ils se concentrent d’abord sur une baisse des tarifs « réciproques » : les pays de l’Asean, à l’exception de Singapour, dont la balance commerciale vis-à-vis des États-Unis est déficitaire, ont obtenu des droits de douane de 19% ou 20%. Les « alliés » coréen et japonais s’en sortent un peu mieux, à 15%. Surtout, ils obtiennent une baisse des droits de douane (15%) sur le secteur automobile, taxé au niveau mondial à 25% par les États-Unis, de loin leur premier débouché (35% des exportations automobiles pour le Japon, près de 50% pour la Corée du Sud).

En échange, les pays signataires se sont engagés à respecter les différentes priorités américaines : hausse de leurs importations, investissements de leurs entreprises sur le sol américain et coopération dans des domaines stratégiques (naval, défense, terres rares). 

Corée du Sud : en plus de tarifs préférentiels dans le domaine automobile, des exemptions sont prévues dans les secteurs du bois, de l’aéronautique et de la pharmaceutique. En échange, la Corée du Sud a accepté d’élargir l’accès à son marché et à intensifier ses importations de GNL. 

Le pays s’est aussi engagé à investir 350 milliards de dollars aux États-Unis (200 milliards en numéraire et 150 milliards) dans la coopération pour la construction navale, incluant la construction de sous-marins nucléaires. Cette coopération est cruciale, car les États-Unis ont besoin des compétences et des capacités de production coréennes pour relancer leur secteur de la construction navale, surtout s’ils souhaitent augmenter leurs exportations d’hydrocarbures, les chantiers coréens étant spécialisés dans la production de tankers. 

Malaisie : le pays a consenti à accorder un accès préférentiel aux produits industriels et agricoles américains. Le tarif douanier est fixé à 19%, mais de nombreuses exceptions sont prévues sur certains produits considérés comme « essentiels » par les États-Unis, comme les produits pharmaceutiques, les semi-conducteurs, l’huile de palme ou le caoutchouc. La Malaisie s’est également engagée à augmenter ses importations américaines (hydrocarbures et aéronautique) et à investir 70 milliards de dollars aux États-Unis sur les dix prochaines années. 

Surtout, l’accord inclut une clause de coopération sur les minéraux rares. La Malaisie, qui exporte actuellement 13% des terres rares et dont les réserves sont valorisées à plus de 200 milliards de dollars, a consenti à ne pas imposer de restrictions à l’exportation vers les entreprises américaines, afin de leur garantir un approvisionnement stable et sécurisé. 

Thaïlande : le pays s’est engagé à supprimer les droits de douane sur environ 99% des produits américains entrant sur son marché, et à supprimer des barrières non-tarifaires dans des secteurs d’importance stratégique pour les États-Unis (notamment automobile, pharmacie et viande). Une hausse des importations énergétiques, agricoles et aéronautiques, pour un montant total de 27 milliards de dollars, est également prévue. Un MoU (Memorandum of Understanding) sur l’approvisionnement en terres rares a également été rendu public. Les États-Unis ont ainsi négocié un droit de priorité pour investir dans ce secteur en Thaïlande. En échange, les États-Unis apporteraient leur assistance technique au développement de la filière. 

Vietnam : le pays s’est aussi engagé à offrir un accès préférentiel à son marché, notamment sur l’automobile, en reconnaissant les normes américaines de sécurité et d’émissions, mais également à ses marchés publics (dispositifs médicaux en particulier). Contrairement aux autres pays, l’accord ne semble pas spécifier de volumes d’importations américaines obligatoires, alors même que le Vietnam présente un des excédents bilatéraux les plus élevés (supérieur à 100 milliards de dollars) sur les États-Unis. 

En revanche, le Vietnam est concerné en premier lieu par la « règle d’origine » que les États-Unis souhaitent mettre en place, et qui visent les produits chinois qui transiteraient par d’autres pays. Ces derniers seraient soumis à un taux de 40%. Reste à savoir si la signature d’un accord entre la Chine et les États-Unis modifiera cette clause.

 

PaysDroits réciproques (2 avril)Droits réciproques (après accord)
Cambodge

49%

19%

Chine

34%

20%

Corée du Sud

25%

15%

Inde

26%

50%

Indonésie

32%

19%

Japon

24%

15%

Malaisie

24%

19%

Philippines

17%

19%

Singapour

10%

10%

Taïwan

32%

20%

Thaïlande

32%

19%

Vietnam

46%

20%

 

Les sacrifices consentis pour garder l’accès au marché américain sont donc lourds. Même si l’on se demande encore comment les États-Unis pourront contraindre des entreprises étrangères à investir sur leur sol ou à accroître leurs importations. L’exemple chinois de l’Accord Phase 1 montre ainsi que la signature de ce genre de traité n’est pas une fin en soi. Les importations chinoises depuis les États-Unis n’ont ainsi jamais atteint les niveaux négociés dans le cadre de l’accord. 

 

Le cas chinois

C’est peu de dire que la rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping était attendue. Maintes fois reportée, les réticences semblaient d’abord venir du côté américain. L’équilibre des pouvoirs s’était cependant renversé après les phases d’escalade d’avril et de mai, et surtout l’offensive de la Chine sur les terres rares. 
Xi Jinping paraissait déterminé à attendre qu’un accord crédible soit négocié pour offrir la photo d’une poignée de main avec Donald Trump scellant le « deal ».

Après plusieurs rounds de négociations, Xi Jinping a annoncé que « des consensus sur des solutions aux problèmes » avaient été trouvés. Les États-Unis vont réduire les droits de douane imposés au titre du fentanyl de 20% à 10%. Quant à la Chine, elle s’est engagée à reprendre ses exportations de terres rares et ses importations de soja.

Cet accord signe donc une accalmie, mais n’apporte pas de véritables réponses aux tensions sino-américaines. L’accord sur les terres rares sera renégocié chaque année et, dans tous les cas, que se passerait-il si la Chine ou les États-Unis décidaient de faire volte-face ? Alors que l’OMC n’est plus qu’une coquille vide, les États se retrouvent désarmés face à un partenaire qui remettrait en question ou ne respecterait pas ses engagements. Pour Donald Trump, les droits de douane ne sont qu’un outil de négociation dans une course qui vise à maintenir les États-Unis en haut de l’échiquier mondial et à distancer ses rivaux, à commencer par la Chine. 

Même si cette signature va redonner à court terme un semblant de visibilité aux acteurs économiques – qui en ont bien besoin – elle ne signifie en rien que l’affrontement sino-américain va s’arrêter. Les conclusions du quatrième plénum, qui se déroulait à Pékin la semaine dernière3, le montrent bien : plus que jamais, c’est à l’auto-suffisance et à l’autonomie stratégique que la Chine se prépare. Dans cet univers de rivalité, la détente ne pourra être que de courte durée.
 

  1. Qui rassemble la Birmanie, le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Timor oriental
  2. Les droits de douane « réciproques » avaient été calculés en divisant le solde commercial vis-à-vis d’un pays par les importations en provenance de ce pays.
  3. Voir la publication Chine – 4e plénum et plan quinquennal, le ballet de la planification reprend à Pékin, octobre 2025
     

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