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Le Critical Raw Materials Act : quand l’Europe des métaux forge son désir d’indépendance

Le constat énoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l’état de l’Union le 14 septembre 2022, était implacable : « Aujourd'hui, la Chine contrôle l'industrie mondiale de la transformation [des métaux, ndlr] ». Sans défaitisme aucun, elle s’apprêtait alors à annoncer ce qui allait devenir le European Critical Raw Materials Act (CRMA), adopté le 12 décembre dernier par le Parlement européen. Initiative ambitieuse d’émancipation d’une Europe perfusée au métal étranger ou vœux pieux, retour sur un texte lui aussi critique.

Une Europe qui quantifie sa dépendance

Le consensus est ferme : pas de transition énergétique sans métaux stratégiques. Batteries, éoliennes et cellules photovoltaïques sont voraces en lithium, nickel, terres rares et autres recoins du tableau périodique. Plus largement encore, des secteurs stratégiques, comme l’aérospatial ou la défense, dépendent également de ressources incontournables, dont l’approvisionnement détient, de facto, un droit de vie ou de mort sur les chaînes de production concernées. La trop grande dépendance aux aléas géopolitiques, récemment illustrée par l’effacement progressif de la Russie (et des ressources pantagruéliques de son sous-sol) du marché européen, apparaît donc comme un mal auquel l’Europe souhaite remédier diligemment.
La Commission européenne planche en réalité sur ce sujet depuis 2008 avec le EU Raw Materials Initiative. Elle entretient en effet depuis cette date une liste de substances critiques, parue pour la première fois en 2011 et mise à jour tous les trois ans, dont la dernière mouture publiée en 2023 liste 34 ressources (dont 27 métaux et familles de métaux) jugées indispensables au bon fonctionnement de l’Union.

Les matières premières y sont évaluées selon deux critères :

  • Leur importance économique : produit du degré d’utilisation d’une ressource dans un secteur donné et de la valeur ajoutée dudit secteur. Ce paramètre étant modulé par un index de substitution, quantifiant l’aisance à trouver une ressource équivalente. Sur cette échelle, le tungstène , le magnésium et les éléments platinoïdes composent le podium.
  • Le risque pesant sur la chaîne d’approvisionnement : paramètre complexe, tenant compte, entre autres, de la dépendance à l’importation, des sources d’importation et des possibilités de recyclage. Sur cette échelle, les terres rares, le niobium et le magnésium forment cette fois le trio de tête.


C’est en définissant des bornes sur ces deux paramètres que la Commission définit une substance comme étant critique.

 

Un texte pour seize matériaux stratégiques

Parmi cette liste, 16 matériaux (ou familles de matériaux) jugés encore plus sensibles sont définis comme stratégiques puisqu’indispensables au développement de cinq secteurs éponymes : énergies renouvelables, mobilité électrique, industrie, technologies de l’information et de la communication et aérospatial/défense. Sont ainsi listés comme matériaux stratégiques :

  • 12 métaux et familles de métaux : bismuth, cobalt, cuivre, gallium, lithium, magnésium, manganèse, nickel, platinoïdes, terres rares, titane et tungstène
  • 3 métalloïdes (intermédiaires entre métaux et non-métaux): bore, germanium et silicium
  • 1 non-métal : le graphite naturel


Soucieuse d’entamer une réflexion sur la gestion des flux de ces ressources, la Commission annonçait en 2020 la constitution de l’ERMA (European Raw Materials Alliance), consortium d’industriels et d’entités publiques dont la mission est d’identifier les risques et opportunités dans la chaîne de valeur des matières critiques. 

 

Rapatrier la production sur le sol européen : l’enjeu du CRMA

Le diagnostic étant posé, l’Europe souhaite maintenant s’affranchir des hégémonies. En la matière, le Critical Raw Materials Act affiche clairement ses objectifs. Il souhaite ainsi initier, à horizon 2030 et pour chacune des ressources identifiées stratégiques, le développement sur le sol européen :

  • d’une capacité d’extraction d’au moins 10% de la consommation annuelle
  • d’une capacité de raffinage d’au moins 40% de la consommation annuelle
  • d’une capacité de recyclage d’au moins 15% de la consommation annuelle


S’ajoute à ces éléments la volonté de ne dépendre d’aucun pays tiers à hauteur de plus de 65% de la consommation annuelle d’une matière première donnée, forçant ainsi une diversification des sources d’approvisionnement.

Afin de garantir les moyens de son ambition, l’UE s’engage tout d’abord à mieux connaître et cartographier ses ressources en initiant des campagnes d’exploration du sous-sol des pays membres dans l’année suivant l’entrée en vigueur du texte, lesquelles devront être réévaluées au moins tous les 5 ans. Les pays membres sont aussi encouragés à fluidifier leurs législations pour faciliter la délivrance d’agréments d’exploitation sur des projets centrés autours desdits matériaux critiques.

Le texte prévoit, en outre, la mise en place de la surveillance de leur chaîne d’approvisionnement et de stress test pour quantifier leur résilience. Un droit de regard sur les capacités des stocks nationaux constitués est également demandé par la Commission. Enfin, bien au fait des possibles réticences vis-à-vis de tels projets industriels, elle appelle les États membres à traiter la question de l’acceptation sociale.

 

Le Parlement européen quasi unanime

Le texte, initialement proposé par la Commission en mars 2023, a été très largement adopté par le Parlement européen le 12 décembre 2023, à 549 voix pour contre 43 oppositions. Il doit maintenant être approuvé par le Conseil.

Les initiatives décrites dans le CRMA seront supportées financièrement par l’UE par le biais du programme InvestEU de la Banque européenne d'investissement. Elle s’engage de plus à faciliter l’octroi d’aides d’État aux projets connexes. Du côté de la recherche et du développement, le programme Horizon Europe réservera une enveloppe de 470 millions d’euros sur le quartet exploration/minage/raffinage/recyclage.

Enfin, pour faciliter la coopération et la transparence avec des pays tiers, le Critical Raw Materials Act prévoit la création d’un club mondial des matières premières critiques, rassemblant pays producteurs et consommateurs. Les modalités relatives à la création de cet environnement de travail et aux interactions avec les acteurs déjà existants restent à l’heure actuelle incertaines.

 

En France, déjà un coup d’avance

Emmanuel Macron l’a rappelé dans son discours prononcé à Toulouse le 11 décembre dernier à l’occasion des deux ans de France 2030 : « L'un des axes sur lequel je veux qu'on accélère avec France 2030, ce sont les ressources minérales et plus largement, de maîtriser la chaîne de valeurs des métaux critiques ». Les initiatives dans ce sens n’ont pourtant déjà pas manqué et, souvent, ont devancé le législateur européen. 

Ainsi, début 2022, le rapport Varin sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales pointait du doigt la forte dépendance de l’Europe et de la France vis-à-vis des métaux chinois. Fort de ce constat, l’Observatoire français des ressources minérales (OFREMI) était créé en novembre 2022, financé à hauteur de 6 millions d’euros par l’État, afin de mutualiser les expertises françaises en la matière. En 2022 toujours, la réforme du code minier, régissant l’exploitation minérale sur le sol français, était entérinée, renforçant l’encadrement des activités minières, notamment en matière de garanties environnementales.

Du côté du financement des projets liés aux matériaux critiques, la société de capital-investissement européenne indépendante, InfraVia, annonçait, en mai 2023, le lancement du fonds dédié aux métaux critiques (FMC), doté de deux milliards d’euros, dont 500 millions provisionnés par l’État. Les travaux d’amélioration de la connaissance du sous-sol pourraient, quant à eux, débuter dès 2024 sous la conduite du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM).

 

Demain, un Airbus des métaux ?

Dans une Europe inégalitaire quant à ses ressources et qui souhaite soulager sa dépendance aux géants miniers, seule une collaboration structurée à l’échelle du continent semble pouvoir répondre aux ambitions affichées. Le travail exigé est certes colossal mais les bénéfices pour chacune des parties prenantes semblent clairs ; les secteurs stratégiques dépendant toujours d’un cocktail de matériaux rarement exploités dans les mêmes sols. Il est ainsi probable que les industriels européens devront collaborer ou s’unir, sans quoi les objectifs du CRMA resteront des vœux pieux et l’angoisse de la fermeture du robinet chinois continuera de planer sur des secteurs-clés.

Ce principe permet, de surcroît, d’homogénéiser le débat social portant sur l’acceptation des projets miniers et, plus généralement, des industries lourdes. Ainsi, justifier ces développements à l’aune d’une indépendance européenne, plutôt que d’initiatives mercantiles locales, apparaît chose moins ardue. Il restera cependant crucial de convaincre que, dans ces domaines, relocaliser notre impact environnemental peut, à terme, permettre de le modérer. Les exigences environnementales fixées par l’UE et l’accent porté sur la circularité à travers ce texte continuent de conforter cette vision. 

Enfin, toujours sur le plan social, le retour de la compétence dans des secteurs délaissés sera également un enjeu clé : pas de métaux sans ouvriers, techniciens et ingénieurs. Rappelons ainsi qu’en France, la filière métallurgique a perdu près de 40% de ses emplois salariés depuis 1990.

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