Monde – Scénario macro-économique 2024-2025 : des équilibres délicats
Alors que la situation internationale est extrêmement tendue, dessiner un scénario économique et financier est assez « périlleux ». Des élections américaines à la guerre au Liban, sans omettre le front ukrainien installé sur une crête d’extrême tension, les sources de « disruption » potentielle à brève échéance sont multiples. Les risques d’un conflit généralisé au Moyen-Orient soulèvent, en particulier, de nombreuses incertitudes sur le marché pétrolier. Par ailleurs, au sein même des grandes économies avancées, les équilibres qui permettent de tabler sur un atterrissage en douceur (États-Unis) ou sur une accélération très modeste (zone euro) sont eux-mêmes délicats.
Aux États-Unis, si les fondements de la croissance récente, tenace au-delà des attentes, présentent quelques fissures, il existe des raisons d’espérer qu’elles ne se creusent pas trop. On peut effectivement compter sur, d’une part, les effets positifs d’un cycle d’assouplissement monétaire plus précoce et, d’autre part, la situation financière solide des ménages dont le patrimoine net s’est considérablement valorisé grâce à la forte progression des actions et de l’immobilier.
Au cœur des menaces, figure le ralentissement déjà patent du marché du travail. Si son refroidissement s’est, jusqu’à présent, traduit plus par une diminution des offres d’emploi que par des licenciements massifs, il pourrait approcher un point d’inflexion au-delà duquel sa détérioration serait rapide. Par ailleurs, à la situation patrimoniale globalement favorable des ménages s’opposent les difficultés croissantes des ménages à faible revenu dont atteste la hausse de certains impayés à leur plus haut niveau depuis plus de dix ans. Enfin, si la situation sur le front de l’inflation s’est récemment considérablement améliorée, le risque de la voir stagner juste au-dessus de 2% demeure.
Notre scénario table donc toujours sur un net fléchissement situé vers la fin de l’année sans toutefois désormais dégénérer en récession : la probabilité d’un tel événement semble faible sans pour autant être nulle. La croissance atteindrait 2,5% en 2024, un rythme identique à celui de 2023, pour se tasser ensuite vers 1,3% en 2025. Bien que revue à la hausse, cette prévision prudente reste inférieure au consensus et constitue un ralentissement notable au regard des années précédentes. Quant à l’inflation totale, elle se situerait en moyenne autour de 2,9% en 2024, puis à 2,2% en 2025.
En Chine, les autorités devront faire preuve de lucidité, et certainement d’imagination, pour gérer les risques baissiers qui planent toujours sur l’objectif officiel de 5% de croissance. Si le plan de relance « tous azimuts » récemment annoncé a été favorablement accueilli par les marchés, il ne constitue qu’une première étape pour redynamiser une économie dont les ressorts sont détendus : crise du marché immobilier toujours irrésolue, confiance des consommateurs ébranlée par l’affaiblissement des perspectives en termes d’emploi et de revenus, persistance des pressions désinflationnistes, atonie de la demande intérieure alors que s’alourdissent les menaces sur le dynamisme de la demande extérieure (montée du protectionnisme, reconfiguration des chaînes d’approvisionnement). Nos prévisions de croissance, à 4,7% en 2024 et 4,2% en 2025, restent donc prudentes.
Dans un contexte de ralentissement des deux principales zones partenaires (États-Unis et Chine), l’accélération de la croissance de la zone euro reposera donc essentiellement sur la redynamisation de la demande intérieure et notamment celle de la consommation privée.
Or, les résultats du premier semestre 2024 ont suscité des interrogations sur la pérennité d’un scénario de reprise domestique : alors que l’évolution du pouvoir d’achat des ménages est restée propice à la réalisation d’un tel scénario, l’arbitrage des ménages, toujours favorable à l’épargne aux dépens de la consommation, l’a démenti.
Cette préférence pour l’épargne est triplement justifiée : par l’incertitude (liée au manque de visibilité, notamment sur l’inflation après des chocs violents, mais aussi à l’environnement de politique économique sans oublier, plus largement, un contexte international anxiogène), par la nécessité de reconstituer les encaisses réelles érodées par l’inflation, par le besoin de restaurer le pouvoir d’achat immobilier, victime des effets négatifs combinés des prix et des taux d’intérêt. Plus que son niveau (certes faible, mais seulement légèrement inférieur à notre prévision), c’est donc la composition de la croissance qui s’est révélée décevante : alourdissement de la contribution négative de la demande intérieure, érosion du soutien des exportations nettes, contribution nulle des stocks mais positive de la consommation publique.
Grâce à la poursuite de la désinflation (avec une inflation moyenne à 1,8% en 2025 après 2,3% en 2024), à une situation financière solide des agents privés, à un marché de l’emploi résilient, l’hypothèse de redressement de la demande intérieure peut toutefois encore être formulée, mais à un rythme plus modéré que celui précédemment anticipé. Notre scénario retient donc une accélération modeste de la croissance : après avoir atteint 0,8% en 2024 (notamment grâce à des effets d’acquis positifs), elle s’établirait en 2025 à 1,3% soit un rythme inférieur au potentiel. Les risques sont néanmoins recalibrés : le risque baissier sur la croissance excède le risque haussier sur l’inflation.
Cet environnement, de décélération américaine marquée, de lourde menace d’essoufflement chinois et d’accélération européenne modérée et fragile, justifie évidemment de maintenir le cap des assouplissements monétaires déjà entamés. Au regard des anticipations très favorables de baisses des taux directeurs par les marchés, tant aux États-Unis qu’en zone euro, notre scénario se montre actuellement moins « audacieux », mais ne ferme pas la porte à des assouplissements additionnels.
Lors du FOMC de septembre, la Réserve fédérale a procédé à une baisse du taux des Fed funds de 50 points de base : cette baisse importante, justifiée à la fois par les risques sur le volet emploi de son double mandat et l’existence d’une marge de manœuvre substantielle, ne présage toutefois pas du rythme futur de baisse. Si notre scénario suppose désormais un cycle de baisse des taux plus précoce, il conserve l’ampleur du cycle global d’assouplissement, soit 200 points de base. En revanche, la baisse cumulée atteindrait 100 (et non plus 50) points de base en 2024 puis, de nouveau, 100 (et non plus 150) points de base en 2025. Le taux (borne supérieure de la fourchette) passerait ainsi de 4,50% fin 2024 à 3,50% au troisième trimestre 2025. Si notre scénario central prévoit des baisses des taux moins offensives que les 50 points de base retenus en septembre, une, voire plusieurs baisses supplémentaires de plus de 25 points de base ne peuvent cependant pas être exclues. De telles décisions seraient motivées par une dégradation substantielle du marché du travail.
Quant à la BCE, la poursuite du déclin de l’inflation l’autorise à prolonger ses baisses graduelles de taux d’intérêt. La résilience, relative, de l’économie européenne ainsi que le niveau de l’inflation (toujours légèrement trop élevé, malgré sa baisse) devraient l’inciter à rester prudente. La BCE maintiendrait donc le rythme de baisse initié en juin et septembre : une baisse de taux par trimestre, par pas de 25 points de base. La BCE arrêterait ses baisses de taux en septembre 2025, une fois le taux de dépôt à 2,50%. Les signes récents de fragilité de la demande intérieure, la nécessité de lever « l’hypothèque épargne » qui pèse sur la consommation des ménages ainsi que les probables révisions à la baisse des prévisions d’inflation de la BCE pourraient, néanmoins, l’inciter à accélérer son rythme de baisse.
Un mouvement puissant de repli des taux d’intérêt a déjà pris place, mouvement largement suscité par la mise en œuvre effective des assouplissements monétaires, mais aussi par les anticipations de poursuite des baisses de taux directeurs à un rythme soutenu. Aussi le potentiel de baisse supplémentaire sensible est-il limité.
Aux États-Unis, les taux à dix ans (US Treasuries) atteindraient 3,80% fin 2024, puis 3,60% fin 2025. À la faveur de l’assouplissement monétaire pesant sur la partie courte de la courbe, celle-ci se pentifierait. En cas de victoire de Donald Trump, les taux à long terme pourraient, de plus, augmenter en raison des anticipations d’alourdissement du déficit budgétaire (baisses d’impôts) et de hausse de l’inflation (liée essentiellement aux droits de douane) surtout si les républicains obtiennent la majorité à la Chambre des Représentants et au Sénat.
Dans la zone euro, le rendement du Bund (taux allemand à dix ans) avoisinerait 2,15% fin 2024, puis 2,30% fin 2025. Enfin, fragmentation politique et creusement du déficit budgétaire ont poussé l’écart OAT-Bund à 80 points de base, borne supérieure de la fourchette (65 à 80 points de base) observée depuis les élections anticipées, et à l’intérieur de laquelle le spread se maintiendrait hors choc supplémentaire.
Consulter notre publication : Monde – Scénario macro-économique 2024-2025 : des équilibres délicats – 4 octobre 2024