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L’Inde est dans le brouillard : celui de la pollution, qui rend New Delhi de plus en plus invivable, celui du terrorisme, alors que les tensions avec le Pakistan sont élevées et ont provoqué plusieurs attentats et celui des négociations commerciales avec les États-Unis, qui semblent au point mort depuis des semaines.

Le Premier ministre indien, Narendra Modi, apparaît en difficulté sur les trois dossiers, et peine en réalité à reprendre la main depuis la perte de sa majorité au Parlement lors des élections législatives de 2024. Chacun de ces trois sujets souligne les défis auxquels l’Inde fait face, mais le pays peine pour l’instant à apporter des réponses.

 

Le brouillard de l’air

À New Delhi, l’air est devenu irrespirable. Les feux allumés à la fin des récoltes par les agriculteurs du Pendjab et de l’Haryana couvrent la ville de fumées toxiques. Un phénomène qui a atteint son paroxysme lors des célébrations de la fête de Diwali fin octobre, durant lesquelles des millions de pétards ont été utilisés. Les hôpitaux sont saturés par les malades atteints d’insuffisance respiratoire, au point où les pneumologues recommandent aux habitants qui le peuvent de quitter la ville pour plusieurs semaines. La mauvaise qualité de l’air serait ainsi responsable de près de 20 000 décès par an à New Delhi, soit un décès sur 7. 

Les autorités continuent pourtant d’assurer qu’« il n’existe aucune donnée concluante permettant d’établir un lien direct entre la pollution atmosphérique et les décès. La pollution atmosphérique est l’un des nombreux facteurs qui influent sur les affections respiratoires et les maladies associées ». Elles ont interdit les manifestations qui visaient à dénoncer la gestion sanitaire. La municipalité, dirigée par le BJP – le parti présidentiel – est accusée de masquer et de trafiquer les données autour de la qualité de l’air. Parmi les cent villes les plus polluées au monde, soixante-quatorze se trouvent en Inde. L’enjeu est sanitaire, évidemment, mais aussi économique. 

La question de la pollution est ainsi intimement liée à celle de la transition. Alors que l’Inde, troisième émetteur mondial, est le pays dont les émissions de gaz à effets de serre augmentent le plus vite, son mix énergétique demeure extrêmement dépendant des énergies fossiles, et notamment du charbon (70% de la production d’électricité). Deux secteurs contribuent particulièrement à cette croissance : la construction et les transports, alors que l’offre de transports publics propres (inter- ou intra-villes) demeure encore trop limitée. 

Grand absent de la COP30 qui s’est tenue à Bélem, le Premier ministre Narendra Modi aime souligner les avancées indiennes en matière d’énergies renouvelables. Il est vrai que, grâce à des conditions climatiques très favorables, notamment dans le solaire, l’Inde a vu ses capacités installées bondir. Le pays s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2070. Un horizon lointain, justifié par le positionnement politique indien sur la question : l’Inde considère en effet que ce sont aux pays les plus avancés qu’il revient de mener l’effort de transition et de financer l’adaptation des pays émergents, de surcroît plus vulnérables au changement climatique. 

En Inde, les besoins d’infrastructures répondant aux enjeux de la transition (eau et assainissement, centres de tri des déchêts, recyclage) sont d’autant plus criants que la population urbaine continue d’augmenter. L’Inde demeure un pays rural et les projections démographiques anticipent que la population continuera d’augmenter jusqu’en 2060. La viabilité des villes est donc un enjeu critique.

Autre menace pesant sur les villes indiennes, celle du terrorisme, qui ressurgit dans les phases de tensions avec le Pakistan. 

Le brouillard géopolitique

Les tensions avec le Pakistan sont encore très vives. Si un conflit ouvert de grande intensité a été évité grâce à la signature d’un cessez-le-feu en mai dernier, la relation entre les deux pays demeure très tendue. Le 12 novembre dernier, l’explosion d’une voiture a fait douze morts et plus de trente blessés à proximité du Fort rouge de New Delhi. L’attentat n’a pas été officiellement revendiqué, mais l’enquête a été confiée aux brigades anti-terroristes. En avril dernier, c’est un attentat dans le Cachemire indien qui avait déclenché les affrontements militaires. 

L’Inde évolue dans une zone (géo)politique instable, dans laquelle elle doit composer avec ses conflits frontaliers (Pakistan, mais aussi Chine) et avec les problèmes politiques internes de ses voisins : le Bangladesh, le Népal et le Sri Lanka. Ces trois pays ont en commun d’avoir renversé leur gouvernement au cours des derniers mois, à la suite de révolutions menées par une population jeune et exaspérée par le manque de perspectives d’avenir. 

Dans cette grande recomposition politique en cours, l’Inde sait qu’elle doit sécuriser sa place de puissance régionale et ne pas laisser trop de terrain à la Chine. L’épisode pakistanais, durant lequel des armes chinoises ont été utilisées pour abattre des avions indiens, montre en effet que la zone est un terrain d’affrontement indirect permanent entre les deux pays. 

Or, l’Inde semble également à la peine sur le terrain géopolitique, où son positionnement « multi-aligné » a été sanctionné par les États-Unis. 
 

Le brouillard commercial 

Troisième brouillard, celui des droits de douane. Alors que Narendra Modi se targuait d’entretenir une relation spéciale, voire amicale, avec Donald Trump, l’Inde est le seul grand pays à ne pas avoir conclu d’accord commercial avec les États-Unis. Le chantage imposé par l’administration américaine (les droits « réciproques » appliqués à l’Inde ont été doublés, passant de 25% à 50%, pour sanctionner les achats indiens de pétrole russe) est toujours en place. Les importations de pétrole depuis la Russie ont atteint leur plus bas niveau depuis trois ans, malgré de nouvelles réductions accordées aux raffineurs indiens (jusqu’à sept dollars par baril). 

Mais les achats de pétrole russe ne sont pas le seul point bloquant de la négociation commerciale. Le principal obstacle reste celui de l’ouverture du secteur agricole indien, sur lequel achoppent traditionnellement tous les traités de libre-échange avec l’Inde. 

En effet, le secteur agricole, qui fait encore vivre plus de la moitié de la population, demeure très morcelé, composé de petites exploitations vivrières familiales. Les fermiers indiens craignent donc – à raison – que la concurrence des multinationales agroalimentaires américaines leur soit fatale. D’autant qu’ils négocient toujours des programmes de prix planchers avec l’État pour s’assurer un revenu minimum, un système qui serait difficilement compatible avec celui de l’ouverture du marché. 

Le sujet agricole est explosif, la capacité de mobilisation des agriculteurs indiens est massive et revêt un fort enjeu électoral, alors que les États les plus ruraux composaient l’électorat traditionnel de Narendra Modi. En face, les États-Unis poussent leurs intérêts offensifs : en dehors de l’aéronautique et de la chimie de pointe, les excédents commerciaux sont assurés par les exportations de matières premières : énergie, oléagineux, céréales ou coton. 

Les États-Unis ont imposé cet agenda agricole et énergétique dans toutes leurs négociations, et ont forcé l’ouverture de nombreux marchés (Malaisie, Thaïlande, Royaume-Uni notamment). Seule la Corée du Sud a réussi à ne pas céder sur le riz et le bœuf, mais elle avait de solides arguments dans le deal (investissements d’entreprises coréennes, partenariat dans le domaine naval, potentiels transferts de technologies dans le secteur des semi-conducteurs) que l’Inde n’a pas. 

La relation commerciale entre les deux pays est ainsi très déséquilibrée. Il y a d’abord et avant tout la question du déficit commercial, l’obsession de l’administration Trump, qui a plus que doublé depuis 2018 (passant de 21 à 44 milliards de dollars). L’Inde est aussi l’un des rares pays à présenter une balance des services excédentaire à l’égard des États-Unis. Surtout, il existe une asymétrie forte entre la part de l’Inde dans les fournisseurs américains (3% des importations américaines totales) et celle des États-Unis dans les exportations indiennes (22%). 

Trois secteurs du côté indien sont particulièrement exposés à la demande américaine : le textile, la pharmaceutique et les téléphones portables. Pour ces produits, la demande américaine constitue en effet plus du tiers des exportations indiennes. 

Les médicaments génériques et les téléphones portables sont pour l’instant exemptés de droits de douane. Les entreprises américaines, comme Apple, qui ont fait le choix de sortir de Chine pour diversifier leurs sources de production (en Inde et au Vietnam principalement), ont un fort pouvoir de négociation auprès de l’administration américaine. Il est donc peu probable qu’elles changent leur stratégie à court terme, et quittent l’Inde. 
Dans la pharmaceutique, où l’Inde occupe une place centrale pour la fourniture de nombreux médicaments, il existe également peu de marchés de substitution offrant les mêmes prestations que celles des fabricants indiens en termes de volume et de prix. 

Dans le textile, en revanche, les risques de délocalisation vers des pays disposant de conditions tarifaires plus favorables sont grands. Or, le secteur assure plus de 45 millions d’emplois directs. La fermeture du marché américain mettrait donc en difficulté bon nombre d’entreprises, et aurait un impact élevé sur le marché de l’emploi. 

Enfin, si la balance commerciale indienne est excédentaire à l’égard des États-Unis, cette situation est loin de refléter une tendance générale : en octobre dernier, le déficit commercial indien sur la balance des biens dépassait les 300 milliards de dollars. L’excédent avec les États-Unis n’en est que d’autant plus précieux. Après la Chine, l’Inde est le pays qui a vu ses exportations vers les États-Unis baisser le plus (-9,4% pour les importations américaines en conteneur en provenance de l’Inde en septembre). Mais, contrairement à la Chine, qui parvient à faire entrer ses produits en utilisant des voies de contournement (pays de l’ASEAN et Mexique en particulier), l’Inde ne dispose pas encore de réseau alternatif. 

Narendra Modi doit donc reprendre la main dans cette négociation difficile, quitte à sortir du terrain commercial, pour obtenir un compromis américain. Même si l’Inde demeure bien plus fermée que ses concurrents de l’ASEAN, son chemin de développement ne pourra pas se faire en dehors des routes du commerce mondial.

 

 

Graphique représentant les exportations indiennes du bien vers les US/exportations indiennes totales du bien

Sources : TradeMap, Crédit Agricole S.A/ECO

 

Ces produits représentent 50% des exportations indiennes totales vers les États-Unis. Les biens hachurés sont pour l’instant dans leur grande majorité exemptés de droits de douane.

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