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Alors que l’Inde porte encore largement les stigmates de la crise du Covid-19, le pays est de surcroît secoué par des mouvements sociaux de plus en plus réprimés par les autorités.

Activité : reprise sur fond de tensions inflationnistes

Sur le plan de l’activité d’abord, les signaux sont encore mitigés. La vague épidémique du deuxième trimestre a certes été moins destructrice que celle du T2 2020, mais a tout de même une nouvelle fois affecté la production industrielle qui a nettement ralenti. Les derniers chiffres disponibles indiquent que la reprise a été un peu plus marquée en juillet, mais que le niveau de production sur les sept premiers mois de l’année reste encore inférieur à celui de 2019.

À court terme, l’Inde risque surtout d’être pénalisée par la flambée du prix des matières énergétiques. Très dépendante du pétrole (25% des importations totales), la hausse des prix pourrait à la fois déséquilibrer une balance commerciale qui, sans jamais être excédentaire, avait vu son solde s’améliorer durant la crise, mais aussi alimenter l’inflation, qui s’est stabilisée autour de 5,5% ce dernier trimestre.

De quoi également compliquer les affaires de la Reserve Bank of India (RBI), qui maintient son taux directeur à 4% depuis mai 2020 et ne laisse transparaître dans ses minutes aucune volonté de consolidation monétaire avant le second semestre 2022. L’accélération de l’inflation liée à la hausse des prix énergétiques, même si elle n’atteint pas tout de suite sa composante sous-jacente, pourrait contraindre la RBI à revoir son calendrier, surtout si le reste du monde émergent s’engage dans une remontée des taux, ce qui semble être le cas.

La maîtrise de l’inflation et des prix énergétiques est un sujet d’autant plus sensible qu’il sert souvent de terreau au mécontentement social. Or, l’Inde est déjà traversée par des mouvements sociaux profonds, liés au conflit opposant agriculteurs et État.

La révolte paysanne se politise

Alors que la révolte paysanne dure depuis plus d’un an, sans qu’aucune issue ne semble pour l’instant apparaître, les événements ont pris une tournure dramatique le 3 octobre dernier, avec la mort de neuf personnes, dont quatre agriculteurs, lors d’une manifestation en marge de la visite du ministre des Affaires intérieures dans l’Uttar Pradesh.

Dans cet État très nationaliste, dirigé par un moine hindou, la réaction ne s’est pas fait attendre : rassemblements interdits, Internet coupé, fermeture des axes routiers principaux et arrestation des membres de l’opposition qui souhaitaient venir témoigner leur soutien aux agriculteurs.

Si les paysans demandent toujours le retrait des lois adoptées en septembre 2020, qui visent à libéraliser les marchés agricoles en supprimant le système de prix garantis par l’État, le mouvement a pris une tournure plus politique depuis quelques semaines.

Alors que les partis d’opposition (et notamment le Parti du Congrès) avaient jusqu’à présent échoué à politiser le mouvement, le ton a changé lors des derniers rassemblements. Dans l’Uttar Pradesh par exemple, où la fille de Rajiv Gandhi (ancien Premier ministre) et petite-fille d’Indira Gandhi (seule femme à avoir été Première ministre en Inde) est candidate aux élections régionales pour le Parti du Congrès, les meneurs des manifestations ont clairement affiché leur soutien et appelé à battre le parti au pouvoir (le BJP, parti de Narendra Modi). 

Cela explique sans doute en partie la crispation des autorités en place, qui connaissent l’importance capitale du monde rural en Inde, où le secteur agricole est la source d’emplois de plus d’un habitant sur deux, mais assure les revenus principaux de près de 70% de la population.

Avec ses 200 millions d’habitants, l’Uttar Pradesh, État le plus peuplé d’Inde, est une terre politiquement sensible : largement gagné par le BJP lors des élections de 2017, l’État est aussi l’un des plus répressifs envers les musulmans, un autre sujet fulminant. Il n’est donc pas étonnant de voir les positions se radicaliser sur ces deux sujets socialement explosifs (révoltes paysannes et accélération de la traque des musulmans dans le pays), surtout en période de crise économique. Les élections régionales de février 2022 seront donc un bon test de popularité pour Narendra Modi, qui reste marqué par une cuisante défaite au Bengale-Occidental en mai 2021, malgré des moyens colossaux engagés pour reprendre cet État et de nombreux meetings, en pleine flambée épidémique. La perte de l’Uttar Pradesh serait un symbole encore plus fort et de mauvaise augure pour les élections législatives de 2024.

L’accentuation de la répression va de pair avec la politisation du mouvement, qui ne fait pas les affaires d’un Modi déjà fragilisé par une crise économique très profonde, ayant considérablement affecté le tissu social, notamment via des destructions d’emplois. Et ce d’autant plus que ce chapitre n’est pas encore refermé, puisque 18% seulement de la population indienne est totalement vaccinée (48% a reçu une première dose), ce qui laisse le risque qu’une nouvelle flambée épidémique ralentisse de nouveau la reprise.

Sophie Wieviorka

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