La Chine en ordre de bataille pour affronter la tempête Trump ?
Après plusieurs semaines d’attente, les autorités chinoises ont précisé les contours du volet budgétaire du plan de relance destiné à soutenir une économie peinant à se départir de la crise immobilière dans laquelle elle s’enfonce depuis deux ans.
En septembre, c’était d’abord le gouverneur de la banque centrale qui avait annoncé une série de mesures d’assouplissement monétaire, provoquant une forte volatilité sur les marchés, enthousiasmés par la réaction – espérée – des autorités, puis déçus par l’absence de volet budgétaire du plan. Ces mesures ciblaient avant tout le secteur immobilier, avec une baisse des taux de réserves obligatoires pour les banques, une baisse des taux sur les hypothèques (stock et à venir) des ménages, une baisse du principal taux directeur, et la création d’un fonds destiné au rachat d’actions afin de soutenir la valorisation des entreprises cotées.
Cette fois-ci, les annonces se concentrent sur les collectivités locales, qui incarnent nombre des dérives du modèle de croissance chinois. Mises en concurrence par un Parti communiste qui teste ses futurs décideurs en leur accordant des responsabilités de plus en plus élevées au niveau provincial, les collectivités locales ont été incitées à investir massivement, y compris lors des phases de ralentissement du cycle, comme en 2009 et 2015, à développer des infrastructures parfois de manière non coordonnée et à soutenir des entreprises publiques pas toujours rentables. Surtout, elles se sont faites complices du modèle immobilier en touchant leur part du gâteau sur la spéculation. Tirant une grande partie de leurs ressources de la vente de terrains aux promoteurs, les collectivités locales ont donc vu leurs revenus chuter ces deux dernières années, avec l’effondrement du nombre de mises en chantier.
L’endettement des collectivités, « rhinocéros gris » bien connu des autorités mais de plus en plus difficilement mesurable, devenait un sujet de préoccupation grandissant. Contraintes par des plafonds d’endettement incompatibles avec les exigences de Pékin en matière de croissance et de financement d’infrastructures, les villes et provinces chinoises avaient multiplié les véhicules de financement externes, en créant des structures ad-hoc pour financer tel ou tel type d’infrastructures (routes, transports, énergie…), adossées ou non à des entreprises publiques. Résultat, il devenait de plus en plus difficile de calculer l’endettement total et surtout de savoir qui se porterait prêteur en dernier ressort en cas de défaut. Les nouvelles mesures visent donc à redonner un peu d’air à ces collectivités. Elles seront donc autorisées à émettre pour l’équivalent de 780 milliards d’euros d’obligations sur trois ans, afin de réintégrer une partie de leur dette cachée dans leurs comptes. 520 milliards supplémentaires – toujours sous forme d’émissions obligataires – leur sont également alloués pour financer de nouveaux projets.
Ces annonces sont une bonne nouvelle pour les gouvernements locaux, qui vont récupérer quelques marges de manœuvre après plusieurs années difficiles. Elles ne s’attaquent cependant pas aux problèmes structurels de l’économie chinoise, à la source de ce surendettement. Les marchés ont réagi plutôt faiblement aux annonces, bien plus faiblement en tout cas qu’après celles de septembre et octobre. Mais les autorités n’ont pas fermé la porte à de nouvelles mesures, et souhaitaient aussi certainement garder quelques marges de manœuvre.
Trump : le calme avant la tempête
Il se murmurait en effet que les dates des réunions du Comité permanent puis de l’annonce n’avaient pas été choisies au hasard, et que les autorités chinoises attendaient le résultat des élections américaines pour ajuster l’ampleur de la relance.
Si les autorités peuvent peut-être se réjouir du retour de Donald Trump sur le plan géopolitique, son programme économique en revanche, s’il est appliqué, pourrait considérablement déstabiliser l’économie chinoise. Les premières annonces de nomination de la future administration Trump ne sont pas rassurantes pour la Chine. Marco Rubio, sénateur de la Floride, est pressenti pour devenir secrétaire d’État (équivalent français de chef de la diplomatie ou ministre des Affaires étrangères).
Or, il est connu pour ses prises de position très dures sur la Chine, et ce bien avant que la question ne devienne un sujet à Washington. Lors du premier mandat de Trump, c’est lui qui avait défendu les bases du déploiement d’une politique américaine mieux adaptée et subventionnée pour concurrencer l’économie chinoise, première bouture de l’IRA ou du Chips Act ensuite mis en place. Marco Rubio est aussi à l’origine d’un projet de loi visant à bloquer les importations de produits chinois issus du travail forcé et de l’encadrement du développement des batteries produites avec des technologies chinoises.
De même, la nomination de Robert Lighthizer, qui pourrait retrouver son poste de secrétaire d’État au Commerce, serait une très mauvaise nouvelle pour la Chine. C’est lui qui avait pris les premières mesures sur les hausses de droits de douane visant les produits chinois, puis négocié l’accord Phase-1 avec la Chine.
Lors de la CIIE (China International Import Expo) qui se tenait la semaine dernière à Shanghai, le Premier ministre Li Qiang a défendu le commerce international et s’est élevé contre le protectionnisme, tout en indiquant que la Chine serait prête à s’ouvrir un peu plus aux investissements étrangers et à conclure de nouveaux accords de libre-échange.
Il faut dire que la perspective de droits de douane à 60% sur l’ensemble des exportations (contre 17% de droits en moyenne actuellement, sur environ 60% des produits) serait une déflagration pour l’appareil exportateur chinois, surtout si ces droits s’accompagnent aussi d’un accroissement des contrôles du contenu en valeur ajoutée des biens exportés depuis des pays tiers (Mexique et Vietnam en particulier, cf. l’article paru le 8 novembre 2024 « Asie – Trump 2.0, ou l'ère de la grande incertitude commerciale »).
Et la Chine n’a pas vraiment respecté ses engagements au titre de l’Accord Phase-1 : les 200 milliards de dollars d’importations américaines supplémentaires sur deux ans sont loin d’avoir été concrétisés. Si le déficit commercial bilatéral des États-Unis vis-à-vis de la Chine s’est réduit, c’est loin d’être le cas pour le déficit total et la dépendance réelle du pays aux intrants chinois, qui est probablement restée inchangée. De quoi fournir à la nouvelle administration Trump des arguments pour adopter une position encore plus dure que lors de la première phase de guerre commerciale.
Côté chinois, quelles marges de manœuvre ?
Peu en réalité. Les autorités chinoises vont justement tout faire pour éviter d’en arriver là et donc de négocier au maximum en amont avec l’administration Trump. Si les droits de douane sont effectivement appliqués, plusieurs réactions sont alors possibles.
La plus risquée, jouer sur le taux de change pour que la hausse des droits soit en partie absorbée par un gain de compétitivité-prix. C’est ce qui s’était produit pendant le premier mandat de Trump après les hausses de droit de douane. Le yuan s’était déprécié, provoquant la colère de Donald Trump, qui accusait déjà la Chine de manipulations monétaires. Si cela se reproduisait, et ce alors même que la devise chinoise évolue déjà à un niveau historiquement bas, inférieur à celui de la période 2018-2020, les États-Unis pourraient de nouveau placer la Chine sur leur liste de pays manipulateurs de devises (currency manipulators), ce qui l’exposerait à de nouvelles sanctions.
Autre option, imposer en représailles des droits de douane identiques sur les produits américains. C’est aussi ce qu’avait fait la Chine entre 2018 et 2020. Mais élargir et augmenter les tarifs douaniers, notamment sur les produits agricoles, aurait un effet inflationniste, dans un contexte où la consommation des ménages est déjà en berne, et où les entreprises ont accepté ou subi une baisse de leurs profits et de leurs marges conséquente. Difficile aussi d’envisager de nouveaux engagements de la Chine à accroître ses importations en provenance des États-Unis : sur quels produits ? Et pour quelle demande ?
Avec ce nouveau plan, les autorités chinoises ont surtout entériné un état de fait en reconnaissant que l’endettement des provinces devenait problématique et présentait un risque de déstabilisation fort pour l’économie chinoise. Cette fois-ci, l’approche a été plus souple que pour les promoteurs immobiliers, qui s’étaient vu imposer des « lignes rouges » (niveau de liquidité et de solvabilité) à ne pas franchir, ce qui les avait empêchés de renouveler leurs lignes de dette, et avait in fine précipité la crise immobilière. Les montants ont beau être généreux (1 400 milliards de dollars), ils demeurent faibles au regard des stocks de dette cachée accumulés, qui s’élèvent d’après le FMI à 8 400 milliards de dollars, soit un peu moins de 50% du PIB.
Surtout, ils ne règlent pas les problèmes structurels : comment assurer aux provinces de nouvelles ressources, alors que les ventes de terrains ne retrouveront probablement jamais leur niveau pré-crise ? Comment assurer une meilleure allocation du capital, alors que les fonds ont tendance à soutenir de manière disproportionnée des entreprises publiques, parfois maintenues à l’état d’entreprises zombies ? Comment limiter la concurrence et favoriser la coopération entre provinces, afin d’optimiser la construction d’infrastructures et donc d’éviter des situations d’actifs échoués, en particulier dans le domaine de l’énergie (panneaux solaires, centrales à charbon) ? Et enfin, mais c’est peut-être le plus important, comment être sûrs que ce plan soit suffisant pour redonner la confiance nécessaire à des ménages toujours frileux lorsqu’il s’agit de consommer. La « fête des célibataires », équivalent chinois du « Black Friday », a révélé cette année toute l’intensité de la guerre des prix menée par les commerçants chinois prêts à tous les sacrifices pour écouler leurs stocks. Même Apple pratique des remises sur son dernier modèle d’iPhone, tout un symbole, tandis que les marques de luxe françaises, qu’il s’agisse de la maroquinerie ou des cosmétiques, font état d’un retournement du marché chinois après des années de croissance exponentielle.
Dans ce contexte, le retour de Trump sera un nouveau défi. En quatre ans, le modèle économique chinois est redevenu encore plus dépendant du commerce extérieur, qui sert d’amortisseur à la faiblesse du marché intérieur. La mise en place de nouveaux droits de douane serait un coup dur à encaisser pour l’appareil industriel chinois, qui se débat déjà avec des problèmes de surcapacités. Il y a fort à parier que la Chine tentera de négocier avec la nouvelle administration pour éviter une guerre commerciale. Reste à savoir quelles concessions elle serait prête à faire.