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Usine d'extraction de nickel en Nouvelle-Calédonie

La filière du nickel en Nouvelle-Calédonie traverse une crise existentielle profonde.

Dernier stigmate en date, l’usine Koniambo Nickel SAS (KNS), l’un des trois sites industriels majeurs de l’île, a fermé ses portes en août dernier avec 1 200 licenciements à la clé. Pour les autres producteurs, les perspectives sont également moroses.

La filière est cependant le poumon économique du « Caillou ». À travers cette dernière, ce sont en effet 20% des emplois du secteur privé et 94% de ses exportations qui sont en jeu.

 

Un géant du nickel…

Avec 6% de la production mondiale en 2023, la Nouvelle-Calédonie figure pourtant sur le podium des géants du nickel, loin derrière l’Indonésie (50% de la production mondiale) et les Philippines (11%). Vieille de presque 150 ans, la filière calédonienne a produit en 2023 un peu plus de 100 000 tonnes de nickel raffiné pour 230 000 tonnes miné ; une manne dont l’exploitation lui aura rapporté près de 1,9 milliard d’euros en exportation.

Le secteur insulaire est structuré autour de trois sites métallurgiques, exploités par trois consortiums distincts, tous supportés par une production de minerais intégrée verticalement. Une poignée de petits mineurs, produisant du minerai brut destiné à l’exportation, complète le tableau.

Le nickel raffiné sur l’île englobe deux types de produits dont les marchés sont différenciés. Les sites de Doniambo (SLN) et Koniambo (KNS) produisent du ferronickel, alliage de fer et de nickel destiné à la production d’acier inoxydable, principalement en Asie. Le site de Goro (Prony Resources) produit du MHP1, un intermédiaire dans la production de nickel de haute pureté pour la production de batteries lithium-ion, principalement à destination du marché automobile.

 

…aux pieds d’argile

Créée en 1880 et longtemps détenue par la famille Rothschild, la SLN2 est aujourd’hui une co-entreprise entre le groupe minier Eramet, la Société territoriale calédonienne de participation industrielle (STCPI, une entité regroupant les trois provinces calédoniennes) et l’aciériste japonais Nisshin Steel. Située autour de Doniambo, proche de Nouméa, l’usine pyrométallurgique3 de la SLN commercialise du ferronickel issu du minerai extrait dans ses quatre centres miniers. En 2023, la SLN a produit environ 15%4 de la production mondiale de ferronickel, et près de 6 millions de tonnes de minerais, dont la moitié est exportée. Par le passé, elle a expérimenté la production de matte de nickel – un intermédiaire dans la production du nickel de qualité batterie – alors raffinée à Sandouville (Nord). Faute de rentabilité, cette activité a été stoppée et l’usine de Sandouville cédée à Sibanye-Stillwater en 2022. Déficitaire depuis plus de 10 ans, Eramet ne refinance plus actuellement la SLN, et ses 2 300 salariés, qui ne reste donc liquide que grâce au concours de l’État.

Autre producteur de ferronickel pour l’industrie sidérurgique, l’usine de Koniambo Nickel SAS (KNS), dite   « l’usine du Nord », a été inaugurée en 2014. KNS est une co-entreprise entre la Société minière du Sud Pacifique (51%), société néo-calédonienne dont la province Nord est actionnaire, et le géant suisse du négoce de métaux, Glencore (49%). Entré au capital en 2013 à la suite du rachat de Xstrata, Glencore a annoncé son retrait de KNS en début d’année suite à des pertes financières récurrentes conséquentes, malgré ses 9 milliards de dollars investis dans le site. L’État français, soucieux de conserver l’activité, avait alors proposé d’abonder à la sauvegarde de l’usine en échange d’un repositionnement d’une partie du site vers le marché des batteries. Le refus de l’offre aura depuis entraîné la mise sous cocon de l’usine en mars, et, faute de repreneur, sa fermeture le 31 août dernier, avec à la clé 1 200 licenciements et la destruction de 9% de l’offre mondiale de ferronickel. Bien que la possibilité d’une reprise tardive ne soit pas à exclure, le temps joue maintenant contre la santé des installations et l’intérêt économique d’un éventuel redémarrage.

L’usine hydro-métallurgique5 de Goro, à la pointe sud de l’île, est quant à elle positionnée sur le marché du nickel de haute pureté pour application batterie depuis son ouverture en 2008. Cédée par le minier brésilien Vale en 2020, elle est maintenant exploitée par Prony Resources, une co-entreprise entre la Société de participation minière du Sud calédonien (SPMSC), l’autre géant du négoce Trafigura et des acteurs locaux. Cependant, à l’instar de ses homologues, le site est lui aussi déficitaire depuis plus de dix ans et lourdement endetté, poussant Trafigura à exprimer publiquement son souhait de se retirer de cette activité. Une nouvelle fois, c’est l’intervention de l’État français qui permet de le maintenir en vie, tandis que la recherche d’un repreneur se poursuit afin de garantir l’avenir de ses 1 350 employés. Ironie de l’histoire, le salut du site pourrait passer par l’usine de Sandouville, son nouveau repreneur Sibanye-Stillwater s’étant déclaré intéressé par la production de Goro pour alimenter son nouveau site.

 

L’Indonésie et la Nouvelle-Calédonie : des ambitions similaires pour des résultats antinomiques

L’Indonésie porte aujourd’hui la moitié de la production mondiale de nickel. L’essor de cette filière résulte d’un choix politique ; l’exportation du minerai brut y est totalement interdite depuis janvier 2020, succédant à des interdictions partielles depuis 2014. Galvanisée par des investissements massifs d’entreprises principalement chinoises, soucieuses de développer une chaîne de valeur robuste et à bas coûts aux portes de l’Empire du Milieu, la production indonésienne a quadruplé en dix ans. Corolaire de cette expansion rapide, le surplus de métal disponible contribue à entraver les cours du nickel, mettant les marges des producteurs étrangers sous pression. Ce succès de l’intégration verticale de la chaîne de valeur repose sur quatre piliers principaux : une volonté politique forte, un coût de l’énergie avantageux, supporté par des centrales électriques alimentées en charbon local, une main-d’œuvre abordable ainsi qu’une excellence opérationnelle, permettant des cadences de production élevées. 

C’est justement sur ces trois derniers axes que le raffinage du nickel calédonien pèche. Malgré l’installation de centrales captives par SLN (fuel) et KNS (charbon), le prix de l’électricité pour les sites industriels calédoniens oscille entre le double et le triple de son équivalent métropolitain, et représente 40% des coûts fixes et variables des sites de Doniambo et Koniambo. Cet écart de prix est comparable à celui observé avec l’Indonésie, premier concurrent de l’île. Rappelons également que l’activité de ces trois acteurs représente environ 70% de la consommation totale d’électricité locale.

Sur le front opérationnel, Prony Resources et KNS n’auront jamais réussi à produire à pleine capacité depuis le démarrage de la production en 2010 et 2013, affichant un taux de production moyen en deçà de 50% de leur capacité nominale et de fait loin de leur seuil de rentabilité. 

La crise ajoutant à la crise, les émeutes de mai dernier auront également affecté la productivité de ces sites, forçant la SLN à réduire sa production au minimum à défaut d’accès au minerai, quand Prony Resources indiquait fin août que son usine était toujours à l’arrêt, faute d’accès à l’eau brute et à l’électricité. Début septembre, les déficits de production de minerais et de nickel raffiné étaient déjà de plus de 40% et 30% respectivement par rapport à 2023. En outre, le ralentissement de la demande mondiale d’acier, unique destinataire du ferronickel calédonien, et un possible retour du phénomène météorologique de La Niña en fin d’année, responsable de pluies diluviennes affectant les sites miniers du Pacifique, viennent conclure une annus horribilis pour la filière.

Avant la fermeture de KNS en août, ces trois sites employaient près de 5 000 salariés, soit plus de 7% des employés du secteur privé en Nouvelle-Calédonie. Dans un rapport de 2023, l’inspection générale des finances estimait que 8 300 emplois supplémentaires étaient dépendants de l’activité de ces usines, soit 20% du gisement d’emplois calédonien. Ce même rapport précisait qu’une défaillance simultanée des trois sites conduirait à une augmentation de 50% du chômage sur l’île ; un choc identifié comme insupportable par la Caisse d’allocations familiales et des accidents du travail de Nouvelle-Calédonie (CAFAT) qui ne pourrait faire face à ses engagements. Enfin, l’impact sur le PIB insulaire est estimé à 4 points la première année (325 millions d’euros). L’industrie du nickel semble de fait à bien des égards too big to fail.

 

Les scénarios d’une sortie de crise

Parmi les scénarios envisageables pour garantir la pérennité de la filière, la question de l’abandon de l’activité de raffinage au profit de la seule activité minière apparaît comme étant centrale. En effet, à l’image de l’Indonésie, l’exportation de minerais bruts calédoniens est fortement réglementée. À l’heure actuelle, les minerais les plus riches, et ceux issus des réserves géographiques métallurgiques des usines KNS et de Prony Resources, sont ainsi interdits à l’export et n’ont donc pour seul débouché que le raffinage local. L’exploitation et l’export de minerais sont pourtant réputés rentables, comme en témoignent la SLN et les sociétés minières mineures. De fait, l’abandon du modèle d’intégration verticale permettrait alors de maintenir une activité industrielle locale, tout en en limitant cependant son ampleur. Une telle initiative interfère néanmoins avec une volonté de souveraineté, à l’heure où le nickel et son raffinage apparaissent comme stratégiques dans toutes les classifications relatives à la question, notamment en Europe par le biais du Critical Raw Materials Act.

C’est en vertu de cet aspect que l’État souhaite inciter au développement de la conversion du ferronickel calédonien en matte ; un intermédiaire dans la production de batteries que la SLN produisait jusqu’en 2016. Ce procédé de transformation permettrait ainsi à l’exploitant d’établir un arbitrage entre production pour le marché de l’acier et celui des batteries en fonction des perspectives différenciées de ces marchés. Cependant, cette option implique une étape de transformation supplémentaire dont l’intérêt économique devra être démontré, puisqu’en concurrence avec une production indonésienne robuste et à bas coûts, géographiquement avantagée quant à ses clients chinois de la chaîne de valeur des batteries. Il convient en effet de rappeler que les annonces en provenance d’Australie sont également symptomatiques d’une filière aux abois, comme en témoigne la mise sous cocon du complexe de Nickel West par BHP jusqu’en 2027, produisant pourtant principalement pour le marché des batteries.

La transformation du réseau électrique calédonien semble enfin inévitable dans une optique de pérenniser la production locale à long terme. Cependant, le temps nécessaire à une telle entreprise semble incompatible avec l’urgence de rentabilité des sites concernés. Loin d’être négligeables, les coûts imputables à cette évolution seraient cependant réduits en cas de non-redémarrage de KNS, diminuant significativement la demande électrique sous-jacente. 

Dès lors, dans un contexte de marché fortement dégradé mais potentiellement durable, il semble difficile d’envisager une résolution indolore de la crise du nickel calédonien. Le concours de l’État, écartelé entre la volonté de maîtrise de son budget et les insupportables conséquences d’une faillite généralisée du secteur, semble devoir rester une condition sine qua non à la résilience de la filière à court terme ; tandis qu’une refonte structurelle de la chaîne de valeur semble indissociable de la pérennisation de l’activité insulaire.
 

 

1 - Mixed hydroxyde precipitate
2 - Société Le Nickel
3 - Procédé rotary kiln-electric furnace (RKEF)
4 - 45 000 tonnes
5 - Procédé HPAL - High Pressure Acid Leach
 

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