Le retrait de Foxconn en Inde, reflet des faiblesses du pays
Moins d’un an après l’accord conclu entre Foxconn, principal sous-traitant d’Apple, et Vedanta, géant conglomérat indien spécialisé dans les métaux, Foxconn a annoncé son retrait d’un projet d’usine de semi-conducteurs dans le Gujarat, l'un des vingt-huit États de l'Inde. Très médiatisée, cette co-entreprise, qui nécessitait un investissement de 19,5 milliards de dollars, est un vrai revers pour le Premier ministre Narendra Modi.
Vedanta a indiqué souhaiter poursuivre le développement du projet en s’associant avec un nouveau partenaire, sans qu’aucun nom ne soit pour l’instant avancé, et continue d’acquérir des licences de production (40nm de qualité de production, avec des discussions en cours pour la licence du 28nm – pour rappel, la frontière technologique détenue par TSMC ou Samsung est à 5nm).
Le gouvernement a fait des semi-conducteurs une priorité absolue, et les a désignés comme secteur prioritaire. Un plan de dix milliards de dollars, visant à attirer de nouveaux investisseurs grâce à des politiques de subventions très généreuses, avait ainsi été dévoilé lors de la présentation du budget. Le rapprochement entre Foxconn et Vedanta avait ainsi été qualifié « d’étape importante » par Modi. Il aurait a priori achoppé sur l’impossibilité d’associer le fabricant de puces européen STMicroelectronics au projet. Un échec qui témoigne plus globalement des difficultés de l’Inde à développer certains projets jusqu’au bout, au-delà des effets d’annonce.
Le Make in India, une doctrine handicapante
Malgré une volonté affichée d’ouvrir le pays et de profiter d’un contexte géopolitique plutôt favorable, les obstacles demeurent très nombreux. La stratégie indienne consistant essentiellement à faire émerger des champions nationaux dans des secteurs jugés prioritaires, le pays cherche à vendre sa compétitivité-coût – et son positionnement géopolitique « neutre » tout en préservant sa préférence nationale.
Aussi, les investisseurs émergents sont tenus de respecter un cahier des charges exigeant, allant du transfert de technologies à l’obligation de faire appel à des sous-traitants indiens. Les importations de biens intermédiaires, en particulier ceux qui pourraient menacer des filières indiennes, sont également frappées par des droits de douane dissuasifs, parmi les plus élevés d’Asie.
Enfin, l’Inde ne cherche pas à négocier de véritables accords de libre-échange avec le reste du monde, en témoigne son refus de rejoindre le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership ou Partenariat économique régional global), aujourd’hui la plus grande zone de libre-échange en termes de population et de PIB. Soucieuse de préserver ses entreprises nationales, qu’elle sait peu compétitives à l’exportation, sauf dans certains secteurs très spécifiques comme la pharmacie, l’Inde privilégie des accords réduits à quelques intérêts offensifs, liés notamment aux politiques de visas accordés aux travailleurs indiens, en échange desquels elle accepte de réduire ou supprimer les droits de douane sur quelques produits (charbon australien notamment).
C’est aussi ce qui explique le peu d’avancées dans les négociations Inde-Union européenne, l’Inde ne souhaitant absolument pas d’un traité dit « de nouvelle génération » incluant des critères ESG autour des normes environnementales ou de dumping social en plus des habituelles baisses de droits de douane.
La deuxième faiblesse structurelle illustrée par l’affaire Foxconn est celle du secteur industriel dans son ensemble. Ce dernier ne représente que 20% du PIB et 15% de l’emploi, contre environ 40% du PIB et 30% de l’emploi dans d’autres pays de la zone (Chine, Malaisie, Vietnam). Invitées à s’implanter en Inde avec la contrainte de recourir à des fournisseurs locaux, les entreprises étrangères ne disposent donc pas du réseau de fournisseurs nécessaire à leur activité, surtout dans les domaines de pointe comme celui des semi-conducteurs.
Surtout, l’Inde n’est pas positionnée sur les chaînes de valeur mondiales dans lesquelles elle essaye d’attirer ces nouveaux investisseurs étrangers, qui chercheraient une solution de repli total ou partiel depuis la Chine. C’est particulièrement vrai pour la production des téléphones ou des ordinateurs, qui était l’objet de l’investissement initialement annoncé par Foxconn.
Or, le développement de l’industrie est nécessaire à celui du pays, surtout pour fournir des emplois à une population active toujours croissante : alors que l’Inde devrait créer douze millions d’emplois par an pour intégrer tous les nouveaux entrants, elle plafonne autour de cinq millions par an. Sept millions d’Indiens rejoignent annuellement les rangs des travailleurs migrants, qui travaillent en ville et rentrent à la campagne lors des périodes de récoltes. Le défi de l’emploi est même double : créer plus d’emplois, de surcroît adaptés aux femmes (dont le taux d’activité, déjà faible, s’est effondré ces dix dernières années, et s’élève à 20% aujourd’hui), moins informels.
Le retrait de Foxconn d’un projet particulièrement médiatisé par le gouvernement lui-même, fer de lance d’une ambition plus globale de développer le secteur des semi-conducteurs, est un gros revers pour Modi. Il rappelle également que, loin des effets d’annonces, le déploiement effectif de certains investissements continue de se heurter aux faiblesses structurelles du pays, et surtout à son comportement très protectionniste, l’insertion dans les chaînes de valeur ne pouvant s’opérer en économie fermée. Or, il ne pourra pas y avoir de développement sans industrialisation. Si les services ont constitué un canal de création d’emplois et de valeur important et contribuent toujours à équilibrer le compte courant indien, ils n’ont pas permis d’intégrer toute la main-d’œuvre disponible et de créer les emplois formels et peu qualifiés nécessaires au développement. Le cas Foxconn devrait donc agir comme une prise de conscience vis-à-vis des autorités indiennes, et commencer à les convaincre qu’au-delà de la tribune offerte par la présidence du G20, de vraies démarches d’ouverture seront nécessaires.