
Monde – Scénario 2025-2026 : un contexte anxiogène, quelques résistances inédites
La liste déjà longue de risques de nature diverse, tant économique que géopolitique, entourait le scénario aussi bien dans ses inflexions conjoncturelles que dans ses aspects structurels. Cette liste vient encore de s’allonger avec l’attaque d’Israël sur l’Iran le 13 juin qui constitue une escalade inédite dans son ampleur et sa gravité, un passage à l’acte qui marque une bascule stratégique pour la région.
C’est donc dans un environnement encore plus incertain dont on ne peut totalement exclure les risques d’événements de rupture (blocage du détroit d’Ormuz, incidents sur les infrastructures du Golfe, etc.) que prend place ce scénario qui a déjà dû supporter la versatilité et l’imprévisibilité de la politique économique américaine.
C’est dans un environnement encore plus incertain dont on ne peut totalement exclure les risques d’événements de rupture que prend place notre scénario qui a déjà dû supporter la versatilité et l’imprévisibilité de la politique économique américaine.
Aux États-Unis, le thème de l’exception américaine du début d’année (croissance excédant le potentiel, résistant malgré des taux d’intérêt voués à augmenter, statut privilégié du dollar, capacité illimitée à s’endetter et à faire porter les risques par le reste du monde) a ainsi été supplanté par celui du désamour à l’égard des actifs américains consécutif au « Liberation Day ». À la suite du « rétropédalage » du président annonçant une pause de 90 jours assortie d’un abaissement des tarifs dits réciproques à 10%, de sérieux doutes ont été émis sur la capacité de D. Trump à véritablement tenir ses engagements tant domestiques qu’internationaux. Les périodes marquées par un sentiment exagérément négatif ont donc alterné avec celles dominées par un sentiment tout aussi exagérément positif.
Bien que nos prévisions pour 2025 aient été légèrement revues à la baisse, notre scénario américain a maintenu son cap, calé sur le calendrier des mesures de politiques économiques : tout en échappant à la récession, la croissance afficherait un net repli en 2025 couplé à un redressement de l’inflation, avant de retrouver du tonus en 2026. Même avec la récente désescalade, les taux de droits de douane restent nettement plus élevés qu’ils ne l’étaient avant la deuxième élection de Donald Trump. L’impact négatif de la nouvelle politique commerciale est le principal moteur de la baisse de la croissance prévue en 2025 (1,5% après 2,8% en 2024) alors que les aspects plus favorables (« One Big Beautiful Bill », baisses d’impôts, déréglementation) contribueraient au rebond attendu en 2026 (2,2%). L’hypothèse d’une récession en 2025 est écartée en raison de fondamentaux solides dont la moindre sensibilité aux taux d’intérêt, la situation financière très saine des ménages, un marché du travail resté relativement robuste, même si on y décèle des signes de dégradation.
Malgré le ralentissement attendu de la croissance, nos prévisions d’inflation ont été revues à la hausse. Les droits de douane devraient occasionner une augmentation de l’inflation en glissement annuel d’environ 80 points de base (pb) au point d’impact maximal. Bien que cet effet soit temporaire, l’inflation (en moyenne annuelle) atteindrait 2,9% en 2025 et 2,7% en 2026. Elle continuerait donc d’excéder 2%, l’inflation sous-jacente se stabilisant aux alentours de 2,5% fin 2026.
Dans un environnement extérieur conflictuel et imprévisible, l’Europe trouverait son salut dans sa demande domestique lui permettant de mieux résister au ralentissement mondial. Deux scénarios alternatifs, entre lesquels l’équilibre est délicat, sont en effet susceptibles de se déployer : un scénario de résilience de l’économie de la zone euro fondée sur une augmentation de la dépense privée mais aussi, voire surtout, de la dépense publique en défense et en infrastructures ; un scénario de stagnation de l’activité sous l’effet d’un cumul de chocs négatifs : chocs de compétitivité liés aux droits de douane plus élevés, appréciation de l’euro et impact négatif de l’incertitude sur la confiance des agents privés. Nous privilégions le scénario de résilience sur fond de résistance du marché du travail, de situation économique et financière saine des agents privés et d’impulsion favorable du cycle du crédit. La mise en œuvre effective des dépenses publiques additionnelles, tout particulièrement du « bazooka allemand », mérite certes d’être confirmée. Mais ces dépenses pourraient offrir à la zone une croissance tirée par une demande domestique plus soutenue au moment où la croissance mondiale fléchirait. Elles offriraient une sorte d’exceptionnalisme, au regard surtout de la décennie passée, qui installerait la croissance de la zone euro sur un rythme supérieur au potentiel à moyen terme. La croissance de la zone euro en moyenne annuelle serait en légère accélération en 2025 au rythme de 0,9% et se renforcerait à 1,3% en 2026. L’inflation moyenne continuerait de s’assagir pour atteindre 2,1% et 1,8% en 2025 et 2026, respectivement.
Ce scénario table sur un statu quo dans la confrontation tarifaire avec les États-Unis au 4 juin, soit une hypothèse de hausse généralisée des droits de douane à 10%, à l’exception des produits exemptés, de 25% sur l’automobile et de 50% sur l’acier. Les risques associés à ce scénario central sont baissiers. Le scénario de stagnation pourrait se matérialiser si la confrontation commerciale avec les États-Unis devait se durcir, si la contrainte de compétitivité devait mordre davantage, si la confiance des agents privés se dégradait sensiblement et, enfin, si la relance budgétaire était mise en œuvre plus graduellement qu’anticipé.
Un contexte aussi incertain, porteur de ralentissement mondial et de contraction des débouchés à l’exportation, aurait certainement par le passé (un passé pas si lointain) impliqué une « sous-performance » des économies émergentes, en outre handicapées par l’aversion des marchés au risque, une hausse de leurs taux d’intérêt et des pressions sur leurs devises. Or, malgré les droits de douane (dont les effets seront évidemment très différents selon les économies), notre scénario reste, globalement, plutôt optimiste à l’égard des grands pays émergents. Ceux-ci pourraient faire preuve d’une résistance inédite grâce à des soutiens susceptibles d’amortir partiellement les impacts d’un environnement peu porteur : vigueur relative des marchés de l’emploi, demande intérieure assez solide, assouplissement monétaire (à de rares exceptions près), décélération chinoise limitée. Enfin, les devises émergentes ont correctement résisté et le risque d’éventuelles hausses de taux défensives, pénalisant la croissance, est plus faible que ce que l’on aurait pu redouter. Ces perspectives relativement positives s’accompagnent, cependant, de risques secondaires plus élevés qu’habituellement, en raison de l’imprévisibilité des politiques américaines.
En termes de politiques monétaires, la fin des cycles d’assouplissement se rapproche. Aux États-Unis, le scénario (net fléchissement en 2025, rebond en 2026, hausse de l’inflation qui continuerait d’excéder significativement la cible), mais aussi les incertitudes qui l’entourent devraient inciter la Fed à la patience. Elle procéderait toutefois à un léger assouplissement suivi d’une longue pause. Notre scénario table toujours sur deux réductions en 2025, mais les décale d’un trimestre (en septembre et décembre, contre juin et septembre auparavant). Après ces deux baisses, la Fed maintiendrait ses taux inchangés avec une limite supérieure maximale de 4% tout au long de 2026. Quant à la BCE, bien qu’elle se refuse à exclure toute future baisse de taux, elle pourrait bien être arrivée à la fin de son cycle de baisse en raison d’une croissance supposée se redresser et une inflation à la cible. Bien évidemment, une détérioration de l’environnement économique justifierait davantage d’assouplissement : la BCE se tient prête à baisser ses taux, si nécessaire.
Du côté des taux d’intérêt, aux États-Unis, risque d’inflation tenace et de trajectoire budgétaire jugée insoutenable, notation AAA compromise, versatilité des décisions économiques, inquiétudes accrues des investisseurs exercent des pressions haussières. Notre scénario retient un taux souverain (US Treasury) à dix ans proche de 4,70% fin 2025 et de 4,95% fin 2026. Dans la zone euro, croissance résistante et prévue en accélération, inflation à la cible et BCE supposée avoir presque achevé son assouplissement plaident pour une légère remontée des taux d’intérêt et une stabilisation, voire un resserrement des spreads souverains. Le taux allemand à dix ans (Bund) pourrait ainsi approcher 2,90% fin 2025 et 2,95% fin 2026. Sur la même maturité, le spread offert par la France par rapport au Bund oscillerait autour de 60/65 pb et celui de l’Italie se contracterait pour atteindre 90 pb fin 2026.
Enfin, le dollar continue à perdre de sa superbe. Inconstance et imprévisibilité des politiques économiques menées par D. Trump, perspectives budgétaires américaines dégradées, spéculations sur les intentions officielles de dépréciation du dollar, résistance des autres économies autant de facteurs qui mettent le dollar sous pression sans pour autant annoncer sa disparition comme monnaie de réserve essentielle à brève échéance. Le cours euro/dollar s’établirait à 1,14 au quatrième trimestre 2025, avant de se déprécier en 2026 (1,10).*
Consulter notre publication : Monde – Scénario macro-économique 2025-2026 : un contexte anxiogène, quelques résistances inédites, 20 juin 2025