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Quelles séquelles pour une crise inédite ?

Le choc économique sans précédent lié à la crise sanitaire est d’une nature tout à fait inédite puisqu’il ne découle pas du débouclage de déséquilibres accumulés avant la crise, mais de la décision volontaire des pouvoirs publics de mettre à l’arrêt tout ou partie de l’activité pour endiguer la propagation du virus, limiter les tensions hospitalières et épargner des vies humaines.

Quelles séquelles pour une crise inédite ?

Si les États ont fait le choix de l’humain, ils ont cherché à tout prix à amortir les dégâts de ce choc économique « provoqué », en déployant des moyens financiers considérables pour soutenir les systèmes de santé, protéger l’emploi et les revenus et préserver le tissu productif. L’objectif était de laisser l’économie la plus intacte possible pour lui faire enjamber la crise et permettre un redémarrage rapide une fois les contraintes levées. Cette stratégie de portage de l’économie s’est jusqu’à présent avérée payante puisqu’au fur et à mesure de la levée des restrictions sanitaires, l’activité est à chaque fois repartie avec vigueur, déjouant ainsi les pronostics les plus catastrophistes. Comme il n’est pas question à ce stade de retirer les perfusions, budgétaire et monétaire, et d’anéantir les efforts entrepris jusqu’alors, on peut espérer, une fois l’hypothèque sanitaire levée, un fort rebond de l’économie. On peut même imaginer qu’après des mois de frustration, les ménages, animés par un sentiment de libération, se remettent à consommer avec boulimie, de quoi également redonner le moral aux entreprises. Un scénario de récupération totale, avec une dynamique de rattrapage permettant d’effacer les pertes d’activité enregistrées pendant la crise avant un retour sur le sentier de la croissance d’avant-crise, reste ainsi possible, mais sans doute pas le plus probable vu l’ampleur du choc.

 
Après une longue période d’hibernation, le dégel de l’économie, suite au retrait des mesures d’urgence, pourrait en effet venir révéler des séquelles plus durables. Dans une version intermédiaire, la croissance reviendrait rapidement sur son rythme d’avant-crise sans néanmoins être précédée d’une période de rattrapage à même de combler tout ou partie des pertes de production enregistrées durant la crise. Des séquelles seraient ainsi visibles sur le niveau de production nationale en raison notamment de la multiplication des faillites d’entreprises, synonyme de destruction permanente de capital, mais pas sur son taux de croissance avec une capacité à croître, donc à investir et à innover, laissée indemne. Le scénario le plus inquiétant serait celui où la nouvelle trajectoire de croissance s’éloignerait définitivement de celle qu’aurait connue l’économie en l’absence de choc avec un niveau et un taux de croissance de la production nationale durablement affaiblis. Ces dommages irréversibles se produisent généralement lorsque le système financier, abîmé par la crise, n’est pas en capacité de financer la reprise ou lorsque le processus de « destruction créatrice »1, propre à toute crise, s’avère laborieux et empêche une réallocation efficace des ressources vers les secteurs les plus productifs.

 
Compte tenu du caractère totalement inédit de la crise de la Covid, sans parler des réponses historiques apportées, il semble difficile de prédire avec certitude tant l’ampleur des pertes définitives de production que les dégâts potentiels infligés à la croissance de long terme. On peut cependant essayer de dresser quelques constats objectifs. D’un côté, cette crise touche de manière disproportionnée le secteur des services, à fortes interactions sociales, à forte intensité de main-d’œuvre, mais à productivité plus faible. Cet effet de composition sectorielle, en faveur des secteurs industriels plus productifs et aujourd’hui davantage épargnés, pourrait ainsi se traduire, en sortie de crise, par une productivité agrégée, donc une croissance plus élevée, mais au prix d’une élévation du taux de chômage. On peut également penser que le processus schumpetérien de « destruction créatrice », évoqué plus haut, provoque la disparition des acteurs économiquement non viables, comme les entreprises dites zombies qui n’auraient pas survécu même en l’absence de crise, avec un renouvellement accéléré du tissu productif propice à une augmentation des gains de productivité. Cependant, cet effet de « nettoyage » de l’économie pourrait s’avérer contre-productif si cette sélection darwinienne touche aussi des entreprises viables et productives ou de jeunes pousses innovantes en raison de difficultés de financement dans un contexte de montée des risques. Par ailleurs, le capital humain, dont dépend l’efficacité des processus productifs et donc les gains de productivité, est menacé par la crise de la Covid avec un chômage de longue durée, des difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail avec des trajectoires professionnelles durablement impactées sans compter les conséquences à plus long terme des confinements successifs sur la formation initiale des nouvelles générations. Autant dire l’importance des interventions publiques avec, d’un côté, des plans d’urgence qui doivent continuer à protéger l’emploi et l’appareil productif pour que la crise ne provoque pas un excès de destruction et, de l’autre, des plans de relance qui doivent soutenir et faciliter le processus de réallocation sectorielle avec en parallèle une adaptation des compétences aux métiers de demain pour que la crise rime avec création.

 
Isabelle Job-Bazille, Directrice des Études Économiques Groupe

 

1La « destruction créatrice » désigne le processus continuellement à l'œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d'activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.
Cf. Joseph Schumpeter, « Capitalisme, socialisme et démocratie », Petite bibliothèque Payot, 1963.

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