La semaine dernière, la Chine a créé la surprise : la croissance du premier trimestre 2024 a été bien plus forte qu’anticipé et a atteint 5,3%, en variation sur un an, quand le consensus la situait plutôt autour de 4,8%.
Un chiffre aux airs de revanche après la décision de l’agence Fitch de passer la notation souveraine de la Chine de « stable » à « négative » en raison des inquiétudes sur les perspectives de croissance à moyen terme, l’impact de la crise immobilière et la soutenabilité des finances publiques. En décembre dernier, Moody’s avait pris la même décision. Seule Standard & Poor’s a confirmé la perspective stable de la notation chinoise cette année. Réagissant à l’annonce de Fitch, le ministre de l’Économie chinois a indiqué que l’agence « avait échoué à prendre en compte l’impact positif des politiques budgétaires sur la croissance ». La publication de la croissance du premier trimestre aurait pu lui donner raison.
Pourtant, cette dernière n’a pas réussi à calmer les inquiétudes autour de l’économie chinoise. Le décalage entre les difficultés persistantes de nombreux secteurs, se reflétant dans les indicateurs d’activité, et le chiffre de croissance consolidée brouille l’analyse de la conjoncture.
Désinflation persistante
Après une légère embellie en février, portée par les activités liées au Nouvel An lunaire, notamment dans les services, l’inflation s’est de nouveau repliée en mars (0,1% en glissement annuel), traduisant la faiblesse persistante de la demande interne. Les ventes au détail n’ont ainsi progressé que de 3,1%.
Cette contre-performance s’explique en partie par des raisons techniques et saisonnières : un fort effet de base hérité du mois de mars 2023 – les ventes au détail avaient alors augmenté de 10,6%, portées par la réouverture de l’économie –, un Nouvel An décalé par rapport à 2023, une année bissextile.
Mais, même en tenant compte de ces ajustements techniques, l’analyse des ventes au détail par catégorie fait ressortir la faiblesse structurelle de la demande, en particulier pour les biens. Les services profitent encore de la reprise du tourisme, qui a enfin dépassé son niveau pré-pandémie. En revanche, la guerre des prix en cours dans le secteur automobile commence à se matérialiser : en mars, les ventes de voitures ont augmenté de 6% en nombre d’unités mais baissé de 3,7% en valeur. Cela signifie que la baisse des prix n’a pas été compensée par une hausse significative des volumes, et donc que certains constructeurs pourraient vite se retrouver en difficulté si les prix ne se stabilisaient pas.
L’interminable chute du marché immobilier
Les indicateurs liés au marché immobilier ont continué à se dégrader en mars, qu’il s’agisse de l’investissement, des mises en chantier, des projets rendus ou du nombre de transactions. Les prix des biens dans l’ancien sont toujours en baisse dans 69 des 70 premières villes chinoises. Ces indicateurs sont en contraction depuis le début de l’année 2022 et ce, malgré les différentes mesures de soutien mises en place par les autorités (baisse des taux, facilités de prêts, allègement des conditions d’accès à la propriété).
L’impact de la crise immobilière se fait aussi sentir sur la production dans les industries lourdes liées au secteur de la construction, comme le ciment ou l’acier brut. De manière globale, la production industrielle a également ralenti en mars (+4,5% sur un an, contre +7% en janvier-février). Cela s’explique non seulement par l’atonie de la demande interne, mais aussi par le ralentissement des exportations (-7,5% sur un an), en particulier dans les secteurs de production traditionnels de l’économie chinoise (téléphones et biens d’équipements). Le taux d’utilisation des capacités industrielles est ainsi à son plus bas niveau depuis 2016.
Le ralentissement de la demande extérieure intervient dans un contexte de tensions commerciales croissantes entre la Chine et les pays occidentaux. En déplacement en Pennsylvanie, région industrielle dans laquelle une partie de l’élection américaine de novembre pourrait se jouer, Joe Biden a ainsi annoncé vouloir tripler les droits de douane sur l’acier et l’aluminium chinois et lancer une enquête sur les pratiques déloyales de la Chine dans les secteurs de la construction navale, du transport maritime et de la logistique.
Cette annonce fait écho aux inquiétudes de l’industrie sidérurgique latino-américaine, et en particulier brésilienne, qui réclame elle aussi des taxes sur les importations chinoises.
Côté européen, les enquêtes visent quant à elles les fabricants d’éoliennes et les constructeurs de véhicules électriques, soupçonnés de bénéficier d’importantes subventions publiques créant des distorsions de concurrence.
Ces dernières semaines, les discussions autour des surcapacités chinoises se sont intensifiées. En déplacement en Chine, Janet Yellen, secrétaire du Trésor américain, a déclaré que ces surcapacités faisaient peser un risque de dislocation de l’économie mondiale. Dévoilant ses nouvelles prévisions de croissance dans le cadre de ses Réunions de printemps, le FMI a quant à lui mis en garde contre un « essoufflement » de la reprise économique chinoise, en raison d’une demande intérieure atone et de la crise immobilière, qui pourrait multiplier les surcapacités de production et donc exacerber les tensions commerciales.
Comment expliquer les 5,3% de croissance du premier trimestre ?
Devant ce panorama, comment expliquer les bonnes performances de la croissance chinoise ? Si l’on en croit les chiffres chinois, elles peuvent être attribuées à la hausse des investissements dans les industries liées aux nouvelles technologies et les infrastructures. Une tendance qui confirme les priorités des autorités et leur soutien constant au secteur de l’offre.
Tout en se félicitant pour ces performances, le ministre de l’Économie chinois a indiqué que l’atteinte de la cible de croissance fixée pour 2024 « autour de 5% » supposerait de nouveaux efforts. Le Politburo, l’instance dirigeante du Parti communiste chinois, doit se réunir fin avril et pourrait annoncer de nouvelles mesures de soutien à l’économie : baisse des ratios de réserves obligatoires, accélération des émissions obligataires, nouvelles injections de liquidités. Une chose est sûre, les marchés restent circonspects face aux perspectives chinoises et réagiraient sûrement mal à un resserrement monétaire ou budgétaire. Malgré les chiffres du premier trimestre, le consensus continue d’anticiper une croissance sous la cible des 5%.