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crise sanitaire mondiale

L’analyse des risques pays et souverains est peu à peu impactée par le contexte très particulier de la crise que nous vivons, où s’additionnent les effets conjoncturels du choc sanitaire, mais aussi les facteurs plus structurels des transitions numériques et climatiques en cours et à venir, ainsi que de la réorganisation des chaînes de valeur.

Il nous semble nécessaire d’évoquer à la fois certaines modifications importantes dans la nature des risques qui se déploient depuis quelques années, mais aussi des tendances lourdes en train d’apparaître avec cette crise sanitaire, appelées à marquer les notations pays et souveraines dans les prochaines années.

Un élargissement progressif des catégories de risques a déjà pointé, depuis quelques années, certains points aveugles dans les pratiques actuelles de la notation pays :

  • Rappelons que les méthodes d’analyse des risques souverains sont traditionnellement basées sur une approche macro-financière des risques de paiement d’un État et des entités sous garantie de cet État. Cette approche est fondée sur une large batterie de ratios et de critères institutionnels, politiques, sociaux et sociétaux, qui permettent d’éclairer, in fine, quelques grandes catégories de risques, tournant autour des besoins de financement de l’entité souveraine étudiée (risques de liquidité, de solvabilité, de change, risques politiques, institutionnels, réglementaires). Quant à elle, l’analyse des risques pays inclut le souverain mais s’élargit à tous les risques qui peuvent créer des chocs impactant l’environnement macro-économique, politique et réglementaire dans lequel opèrent les investisseurs. Ces catégories de risque restent incontournables dans l’évaluation pays et constituent toujours le cœur de l’analyse. Elles sont néanmoins appelées à intégrer plus nettement les critères de transition climatique et de respect des normes ESG.
     
  • La globalisation a accru le caractère systémique de toutes les crises, économiques, financières, sanitaires mais aussi politiques. Ce qui signifie en clair que le moindre choc peut être instantanément diffusé à l’intérieur ou à l’extérieur des pays, quelle que soit la dimension de risque où il se produit ? finance, économie réelle, politique, géopolitique, climat, etc. Dans le domaine financier, le risque se transmet par des effets de liquidité de banque à banque, ou de marché à marché, et par des effets de révision des anticipations conduisant à des sauts d’un équilibre à un autre. Dans le domaine politique, ce sera par des effets « d’influence », portés par Internet, qui transmet désormais instantanément aux quatre coins du monde les idées, les émotions, tout comme les comportements politiques. Quant à l’économie réelle ou dans le domaine sanitaire, les chocs se transmettent via les chaînes de valeur ou les déplacements humains. En fait, les risques systémiques sont devenus les vrais marqueurs de nos sociétés globalisées et, plus la globalisation s’étend, se complexifie et s’approfondit, plus les risques de rupture du système s’intensifient.
     
  • Le nouvel environnement géopolitique pèse aussi sur les notations pays, non seulement parce qu’il représente un risque majeur et durable, susceptible de créer des chocs, mais aussi parce qu’il oriente désormais beaucoup plus concrètement les arbitrages de politique économique dans certains pays. C’est une évidence en Russie ou en Chine, mais c’est vrai, en fait, pour la plupart des pays, développés ou non. Les agences de notation peinent méthodologiquement à intégrer la géopolitique parce qu’elles la prennent en compte comme un choc exogène, alors qu’il s’agit d’un risque endogène au système global (c’est-à-dire produit par les équilibres économiques et politiques mondiaux, dans un contexte de globalisation). Évidemment, l’approche par pays des méthodes et des modèles de notation n’aide pas, par construction, à intégrer un tel risque transversal et de système. Les notations pays ont donc tendance à ne mesurer la géopolitique qu’à travers les chocs qu’elle peut produire sur des pays ou des secteurs, mais la déformation sous-jacente des politiques économiques ou des comportements est sous-estimée ou mal vue.
     
  • Par ailleurs, l’expansion des économies et des sociétés de marché a été elle-même une source croissante de chocs endogènes ? notamment, montée des inégalités ou instabilité financière ? ayant appelé à une régulation plus forte. Des rééquilibrages sont en cours mais des risques importants subsistent dans plusieurs segments ayant échappé à cette règlementation. L’analyse du risque se doit aujourd’hui d’intégrer la nature endogène de cette instabilité propre des économies de marché, qui peut avoir de plus en plus de conséquences dans des domaines autres que l’économique et le financier (climat, zoonose, santé) et, par ricochet, impacter les activités économiques.
     
  • Les risques politiques dans les pays plus avancés sont également difficiles à capter par les systèmes de notation car ils ressortent autant de phénomènes de perception (d’inégalités notamment) que de la réalité. En fait, la crise de la démocratie et la mécanique populiste sont des phénomènes historiques majeurs et transversaux, endogènes au libéralisme, mais ils ont pourtant été très mal captés par les agences de notation internationales.
     
  • Enfin, la perspective de chocs climatiques plus fréquents, plus nombreux, plus forts et, surtout, impossibles à prévoir nous fait véritablement entrer dans un nouvel univers de risques, où la question de la prévision et de la probabilité va compter de moins en moins face à la préparation des hommes et des institutions. 
     

Quatre tendances lourdes sont mises en lumière par la crise sanitaire :
 

  1. La surliquidité mondiale, couplée à un environnement d’incertitude, accroît en même temps les risques de survalorisation et de volatilité. Ces risques sont particulièrement impactants pour ceux des pays moins avancés dont les équilibres de liquidité et de solvabilité dépendent des capitaux extérieurs. Pour les économies avancées, la question de la surliquidité et de la forte présence des banques centrales, sur les marchés souverains et corporate, via le Quantitative Easing et en tant que fournisseur de liquidité en dernier ressort, a des implications en termes de redistribution entre acteurs et entre pays (créanciers/débiteurs), ce qui redistribue aussi les cartes en termes de soutenabilité et résilience. 
     
  2. La distinction entre pays avancés et moins avancés, qui semblait parfois avoir perdu de sa pertinence, est partiellement réactivée.
    De fait, le niveau de richesse des pays et des individus a joué un rôle essentiel dans la résistance à la crise sanitaire. Si, dans un premier temps, les fragilités des secteurs de santé des pays dits développés ont semblé démentir l’avance de ces derniers en matière de développement, la bataille de la vaccination a ensuite donné un atout aux pays à plus forts revenus. Aujourd’hui, le monde est de plus en plus divisé entre une zone vaccinée et une zone marquée par un risque sanitaire endémique.
    De la même façon, le parapluie de liquidité déployé par les banques centrales des pays les plus avancés a défini un univers de dettes où les contraintes de solvabilité et de liquidité ne sont pas du tout les mêmes que celles des pays moins avancés. Cela impacte directement l’étude du risque souverain.
    Enfin, pour les économies avancées la plus forte crédibilité des institutions permet une meilleure coordination entre politique budgétaire et monétaire. Cela peut aider à reconstruire des marges de manœuvre pour les deux autorités. Cette coordination paraît plus difficile dans les économies émergentes et justifie aussi une divergence accrue entre les deux catégories.
     
  3. Une nouvelle catégorie d’analyse va prendre de plus en plus d’importance dans l’évaluation des risques souverains et des risques pays : la résilience. En effet, la prise de conscience que nous entrons dans une période où les risques majeurs seront plus nombreux et moins prévisibles va imposer une estimation des capacités de résilience aux chocs des États comme des sociétés. 
    La résilience est la capacité d’une société ou d’un individu à mettre en œuvre une réponse après un choc, lui permettant de rebondir et de s’inscrire sur un nouvel optimum supérieur ou au moins égal au précédent. 
    Cette notion bouleverse l’approche de la gestion du risque, car elle déplace l’attention de l’évitement du risque à son absorption. La prise en compte de la résilience en tant que catégorie d’analyse oblige à intégrer davantage la question des arbitrages entre assurance et flexibilité.
     
  4. La capacité d’une société et d’un État à innover a toujours été importante dans les analyses de risques car elle conditionne les trajectoires de croissance potentielle. Mais, dans un monde où la transition numérique est devenue l’un des marqueurs d’appétit privilégié des investisseurs, ce critère est également appelé à prendre une place toute particulière dans les analyses pays. 
    Pour les pays dits émergents, mais aussi les économies les moins avancées, la trajectoire de développement passe désormais par la transition numérique. Dans les économies avancées, plus proches de la frontière technologique, l’enjeu est moins celui de mobiliser la dépense publique en faveur de l’innovation que d’allonger l’horizon de l’action publique et d’en changer les instruments. Car il s’agit d’organiser la cohérence d’initiatives règlementaires et financières publiques et privées, de fournir les signaux-prix adéquats, de poser et trancher les arbitrages redistributifs. Il s’agit aussi de savoir mobiliser les parties prenantes, dans un contexte d’affaiblissement des partenaires sociaux, de plus forte présence de la société civile dans les débats, voire d’acteurs peu représentatifs mais très mobilisés, le tout dans un contexte de délégitimisation des institutions. 
    Dans les pays avancés comme dans les moins avancés, l’intégration de la capacité d’un pays à innover dans les évaluations de risques dépendra donc de la capacité des États à piloter efficacement le changement des comportements, à instruire le débat national, à construire le consensus et à le légitimer. 
     

Paola Monperrus-Veroni
Tania Sollogoub

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