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Un moment stratégique pour les États-Unis

Pour les dirigeants américains, les mois à venir s’annoncent comme un moment stratégique essentiel. En effet, dans un contexte d’immense incertitude sanitaire et économique, il va néanmoins leur falloir définir, et vite, une stratégie face au déclin de puissance de leur pays. La réflexion va s’organiser autour de deux axes : le premier portera sur les causes du déclin, le second portera sur les solutions choisies. Mais les deux sont intimement liés, car le diagnostic détermine les solutions.

La question du déclin n’est pas nouvelle aux États-Unis, loin de là, on l’évoque comme un sujet structurant pour l’avenir, au moins depuis les travaux de Paul Kennedy[1] et son imperial overstretch. Elle a beaucoup occupé les analystes dans les années quatre-vingt, confrontés à l’essor japonais ; puis après la crise de 2009, quand la concurrence politique chinoise prend forme dans le sillage du décollage économique ; et surtout très nettement après 2013 – qui marque l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping et le lancement des nouvelles routes de la soie, symbole d’un désir de puissance extérieure désormais assumé. La mauvaise gestion de la Covid-19, tout autant que la situation de quasi-guerre civile dans certains États du pays, n’ont fait qu’accentuer ce questionnement de puissance, mais cette fois autour de l’inquiétude d’un délitement du modèle social et institutionnel. Il faut dire que ce pays offre le tableau déroutant – et inquiétant géopolitiquement – d’une hyperpuissance faible…

 

La problématique du déclin agite donc les think tanks américains et ces discussions vont servir de terreau à la stratégie du futur président américain. Pour l’instant, le débat s’articule autour de trois idées, qui font quasi-consensus outre-Atlantique : 1) il s’agirait d’un déclin relatif ; 2) il s’agirait d’un déclin qui n’est pas inéluctable ; 3) l’avenir de la puissance américaine serait contingent, c’est-à-dire essentiellement conditionné par la politique menée aux États-Unis.

 

Un déclin relatif ? Oui, et c’est visible avec un indicateur simplifié qui compare les positions de puissance relatives des États-Unis, de la Chine et de la Russie dans le temps long : la surface de recouvrement américaine est de plus en plus inégale, tandis que celle de la Chine grossit de façon plus équilibrée (sauf dans le domaine de la cohésion sociale où les trois puissances manifestent des faiblesses). Les États-Unis tiennent le monétaire, l’éducation supérieure, le militaire. Ils avaient regagné du terrain sur l’énergie mais sont en train d’en perdre. Ils ont reculé sur l’économie, le digital et le soft power. Finalement, ce que nous dit cet indicateur sur la relation sino-américaine est la confirmation du bon sens (c’est souvent le rôle des indicateurs) : pour l’instant, aucun des belligérants ne peut gagner, et les deux sont trop puissants pour perdre. Mais recouvrer une position hégémonique implique pour les États-Unis un périmètre plus équilibré, donc une réaffirmation dans les dimensions les plus faibles.

 

 

Indicateur de puissance comparé

 

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Source : Crédit Agricole S.A./ECO.

 

Les facteurs de puissance sont des indicateurs composites construits à partir de 34 variables quantitatives. La somme totale des scores obtenus par chaque puissance est égale à 100%. Toutes les variables ont un poids identique au sein de chaque facteur. 

Un déclin qui n’est pas inéluctable ? Là, personne ne sait. L’Angleterre a réussi à être la puissance hégémonique de deux cycles historiques, mais il a fallu pour cela un affaiblissement des puissances adverses (la France en l’occurrence) et une rupture technologique (la première révolution industrielle). Donc rien ne prouve que le déclin américain soit inéluctable et, quoi qu’il en soit, personne ne va porter une opinion négative aussi extrême aux États-Unis… Mais la conséquence de cette incertitude est importante pour les autres États et leurs entreprises : il va falloir tenir bon au milieu du gué et déployer des stratégies duales qui permettront de collaborer avec les deux puissances ennemies, tout en évitant au mieux les stratégies punitives ou confiscatoires.

Enfin, un déclin contingent ? Il est classique pour un hégémon de sous-estimer ce sur quoi il n’a pas prise, c’est-à-dire la stratégie de l’ennemi. Par ailleurs, la culture stratégique de « l’ennemi absolu[2] », qui a fait l’objet de nombreuses études, fait partie de l’ADN géopolitique des États-Unis et a tendance à accroître le risque de caricature de cet ennemi, à partir du moment où il a été nommé. Mais il y a quelque chose de vrai dans le déclin contingent : stopper la perte de puissance ne se fera pas sans une stratégie centralisée par l’État américain. Or, sur cette question, un point de la politique étrangère de D. Trump (mais pas ses méthodes) fait presque consensus : la guerre commerciale a eu lieu au « bon moment » car il allait être trop tard pour stopper l’ascension chinoise.

Donc déclin relatif, non définitif et contingent… Reste à définir une politique en partant de ce diagnostic, sujet évidemment impossible à traiter aujourd’hui. Mais on peut au moins penser que quelques axes mis en place par D. Trump pourraient perdurer. Ainsi, parions sur la prolongation de la compétition stratégique avec la Chine, qui va se déployer dans de nombreux domaines de puissance, mais aussi à travers une guerre des normes, qui aura un impact fort pour toutes les entreprises. Parions aussi sur le burden sharing, qui n’est pas rejeté par les démocrates (les alliés de l’OTAN doivent payer leur part des dépenses de sécurité). Parions également sur la tendance protectionniste, car les Américains considèrent que l’ouverture du système international (économique et politique) qu’ils ont eux-mêmes pilotée, est justement cause de l’ascension chinoise.

Enfin, quand le diagnostic sera bien posé, la question des alliances pourra réellement s’ouvrir, ce qui va sans doute marquer la prochaine mandature. Il faudra alors se demander si les États-Unis peuvent (et veulent) trouver un rôle de leadership sans hégémonie ? Peuvent-ils fédérer une alliance solide autrement que contre un ennemi commun ? Et surtout, peuvent-il inspirer la confiance nécessaire au leadership sans résoudre au préalable leurs fractures sociales et politiques internes ?

Tania Sollogoub

Tania.sollogoub@credit-agricole-sa.fr

[1]Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 1989

[2]Cf. notamment Carl Schmitt, La Guerre civile mondiale. Essais 1943-1978, Éditions Ere, 2007

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