Xi Jinping visite la Hongrie, une économie en rémission
Après sa visite en France et en Serbie, le président chinois s’est rendu en Hongrie du 8 au 10 mai, l’occasion pour les deux pays de renforcer leurs liens politiques et économiques : dès 2004, avant que Viktor Orban et Xi Jinping ne dirigent leurs pays respectifs, la Hongrie et la Chine avaient signé un « Partenariat de coopération amicale ». Néanmoins, c’est avec l’arrivée de V. Orban au pouvoir en 2010 que la Hongrie commence à considérer la Chine comme un partenaire essentiel de son développement économique.
En 2017, les deux pays se lient par un « Partenariat stratégique global ». La Hongrie a d’ailleurs été l’un des premiers pays à participer aux initiatives chinoises en Europe centrale et orientale, que ce soit « les nouvelles routes de la soie » (BRI) ou le forum de coopération 16+11. Très vite, le pays tire des avantages très concrets de ce choix stratégique, notamment sous forme de prêts pour la construction d’infrastructures. La Chine et la Hongrie signent également des accords visant à renforcer leurs liens commerciaux. Cependant, si les exportations hongroises vers la Chine augmentent, c’est surtout cette dernière qui en tire le plus de bénéfices commerciaux. Dans les premières années de ce partenariat, les effets pour la Hongrie sont donc loin d’être structurants pour son économie.
Des investissements directs étrangers chinois qui tombent à pic
Pourtant, et malgré les tensions géopolitiques globales, le Premier ministre hongrois persévère : à l’occasion de cette dernière visite de Xi Jinping, la relation entre les deux pays est élevée au rang de « Partenariat stratégique global par tous les temps et pour la nouvelle ère ». Et pour cause, dans l’ère post-Covid, la relation bilatérale a acquis une nouvelle dimension, très précieuse aux yeux de Budapest : les investissements directs étrangers (IDE) privés chinois vers la Hongrie ont décollé. Le succès du secteur de l’automobile électrique chinois, couplé aux craintes de tensions douanières entre l’Union européenne et la Chine, offrent à la Hongrie une opportunité difficile à décliner après toutes ces années à investir dans un tel partenariat ! Ainsi, selon le gouvernement, 16 milliards d’euros d’IDE chinois seraient déjà arrivés en Hongrie, principalement dans le secteur des voitures et batteries électriques.
Ces investissements sont d’autant plus importants que Budapest a subi un important choc économique via ses équilibres externes : la Hongrie a été parmi les pays européens les plus durement touchés par la crise inflationniste, notamment du fait de sa dépendance vis-à-vis du gaz russe – la hausse des prix des denrées alimentaires et la faiblesse du forint y ont également contribué. Début 2024, la désinflation est désormais bien engagée mais demeure lente : à 17,6% en moyenne en 2023, l’inflation est retombée sous les 4% au premier trimestre 2024. Cela a permis à la banque centrale de baisser ses taux directeurs dès octobre 2023. Néanmoins, la persistance des tensions politiques et géopolitiques pèse sur le forint. Après l’énergie et l’alimentation, les services sont désormais la principale source d’inflation. Ces éléments imposeront un assouplissement monétaire lent.
Le redémarrage de la croissance reste donc fragile (attendue à 2,3% en 2024 et 3,4% en 2025 après -0,9% en 2023) et c’est dans ce contexte aussi que les investissements chinois prennent toute leur importance : la hausse des salaires réels soutient la demande intérieure, tandis que la reprise de la demande européenne et l’ouverture en 2025 d’usines financées par les IDE chinois devraient soutenir les exportations. Côté investissement, plusieurs facteurs divergents sont à l’œuvre : la lenteur de la consolidation fiscale impose un report d’investissements publics (0,8% du PIB reporté en 2024) et la hausse des taux opérée en 2023 se transmet à la construction, pesant sur l’investissement immobilier ; face à cela, le versement de fonds européens (7% du PIB) permettra à l’investissement public de rebondir tandis que les IDE, notamment chinois, soutiendront l’investissement privé.
Depuis 2020, les finances publiques souffrent par ailleurs de la faible diminution des dépenses ; le déficit public baisse mais reste élevé et le gouvernement peine à anticiper son évolution, ce qui ajoute à l’incertitude. Surtout, il agit peu sur le levier des recettes : relativement au PIB, elles sont en baisse depuis 2015 (-5,8 points), sans que la remontée des dépenses n’ait été compensée. Dans le même temps, la dépendance énergétique hongroise vis-à-vis de la Russie et les tensions avec l’UE ont renchéri le coût de la dette hongroise.
Du côté des comptes extérieurs, après un important déficit en 2022 créé par la crise énergétique (-8,3% du PIB), le compte courant a enregistré un surplus en 2023 (0,2% du PIB), la demande intérieure ayant été bridée par l’inflation et la faiblesse du forint.
Les investissements chinois tombent donc à pic pour stabiliser les équilibres externes et relancer la croissance hongroise. Grâce à cet afflux d’IDE, le pays espère développer une nouvelle filière industrielle forte, tournée vers l’exportation et remonter dans la chaîne de valeur vers des tâches comprenant davantage de R&D. En parallèle de ces IDE, la Hongrie continue d’obtenir des financements pour des infrastructures favorisant l’accès au marché européen des produits chinois : un projet de contournement ferroviaire de Budapest permettant de relier l’Est du pays, où sont installées les nouvelles usines chinoises, avec l’Europe de l’Ouest a été annoncé lors de la visite du président chinois. Le lien ferroviaire reliant Belgrade à Budapest, financé par un prêt de 2,1 milliards de dollars dans le cadre de la BRI, est toujours en construction2. Enfin, alors que le gouvernement hongrois finalise la renationalisation de l’aéroport de Budapest, les trois grandes compagnies aériennes chinoises (Air China, China Southern Airlines et China Eastern Airlines) auraient manifesté un intérêt pour cet aéroport : elles souhaiteraient pouvoir en disposer pour développer des liaisons directes avec la Chine pour leurs opérations de fret aérien. La Hongrie fait donc le choix de devenir la tête de pont de l’industrie chinoise dans l’UE…
Une dépendance vis-à-vis de l’Union européenne et de la Russie
Pourtant, la Hongrie demeure avant tout dépendante de l’Union européenne, aussi bien en ce qui concerne ses programmes d’investissement public, notamment sa transition énergétique, qu’en matière commerciale. Or, ces dernières années, les sujets de tensions avec l’UE se sont multipliés. Ils ont trait aussi bien aux institutions hongroises (respect de l’État de droit, de l’indépendance de la justice et des médias, corruption) qu’à la géopolitique (extension de l’Otan, soutien à l’Ukraine et à son accession à l’UE, sanctions contre la Russie). Ces différends ont abouti à la mise sous conditions du déblocage d’une partie de l’enveloppe européenne destinée à la Hongrie (18% du PIB)3. La position du gouvernement Orban, oscillant entre travail de sape des institutions européennes et négociations par blocage, présente donc des risques importants. Si les agences de notation semblent relativement optimistes quant au versement in fine des fonds européens, deux facteurs principaux pourraient orienter Orban vers une position plus dure : (i) la politique intérieure hongroise ; (ii) de nouveaux alliés européens pouvant exercer leur influence à la suite des élections européennes de juin. Si la relation Chine-Hongrie n’est pour le moment pas au cœur des conflits entre le pays et l’UE, de nombreux facteurs (élections américaines, pratiques commerciales chinoises, relation sino-russe) pourraient mener à un durcissement des relations UE-Chine.
À cela, il faut ajouter que la Hongrie nourrit également des dépendances vis-à-vis de la Russie. Officiellement, le gouvernement revendique une neutralité à l’égard de la Russie dictée par ses intérêts énergétiques. Pourtant, en dépit de certains efforts pour se passer du gaz russe, le choix de la construction d’une centrale nucléaire russe, en tant qu’outil de transition énergétique, crée d’importantes vulnérabilités, qui vont se déployer tout au long de la construction et au-delà.
Ce multi-alignement, entre Europe, Chine et Russie, fait courir à la Hongrie le risque de multi-dépendance. Pourtant, dans tous les domaines (fiscal et commercial, à court, moyen et long terme), l’Union européenne demeure le partenaire le plus vital de l’économie hongroise. La relation avec la Chine est donc un choix de développement qui comporte des risques. Ceux-ci se matérialiseraient vite dans un scénario de durcissement géopolitique. La Hongrie pourrait par exemple subir des tentatives de réalignement « forcé » par ses alliés européens et américain. Quant à la possible élection de Donald Trump en novembre 2024, pourtant grand allié de V. Orban, elle serait à ce titre bien plus inconfortable qu’il n’y paraît aujourd’hui pour le gouvernement hongrois.
- Le Format « 16+1 » est composé de la Chine et de 16 pays d’Europe centrale et orientale : Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie et Macédoine.
- La Serbie est le second pilier de la présence chinoise en Europe. Ce corridor ferroviaire pourrait un jour s’étendre jusqu’au port du Pirée à Athènes, lui aussi sous contrôle chinois.
- Sur 50 milliards d’euros alloués sur la période 2021-2027 (24% du PIB 2023), une partie représentant 18% du PIB a été conditionnée au respect de l’État de droit par la Hongrie. Après des négociations entre la Commission européenne et le gouvernement hongrois ayant abouti à des concessions côté hongrois, l’équivalent de 7% du PIB ont été débloqués fin 2023 / début 2024.