Pour une meilleure expérience de navigation et bénéficier de l'ensemble des fonctionnalités de credit-agricole.com, nous vous conseillons d'utiliser le navigateur Edge.
  • Taille du texte
  • Contraste
Carrefour très fréquenté dans le centre de Séoul

Le feuilleton sud-coréen se poursuit. Après plusieurs tentatives, le président Yoon Suk-yeol a été arrêté ce mercredi 15 janvier, lors d’une opération spectaculaire ayant mobilisé plus de 4 000 policiers, dont certains d’unités spéciales. Le président est visé par plusieurs enquêtes (notamment pour trahison, insurrection, abus de pouvoir, corruption et rébellion, des accusations pour lesquelles il risque théoriquement jusqu’à la peine de mort) en plus de la procédure de destitution à laquelle il fait face. 

En garde à vue pour 48 heures, une première dans l’histoire politique coréenne, le président a accepté de se rendre pour éviter « un bain de sang ». A l’heure où nous écrivons cet article, il est toujours en détention. Il faut dire que la tension est montée d’un cran entre, d’un côté, un service de sécurité présidentiel déterminé à protéger Yoon à tout prix, la mobilisation de ses soutiens, qui voient en lui un héros victime d’une tentative de déstabilisation des « communistes » de Corée du Nord, et, de l’autre, les opposants du camp démocrate et de la société civile (notamment des femmes), effarés par le scénario de chaos imaginé par le président Yoon. 

 

Un hiver sous haute tension

L’arrestation de Yoon vient clore un premier chapitre mouvementé, marqué par une cascade d’événe¬ments en chaîne engendrés par la promulgation surprise de la loi martiale le 3 décembre dernier*. En un mois et demi, l’Assemblée nationale a donc engagé une procédure d’impeachment contre Yoon, nommé un premier président par intérim (Han Duck-soo), à son tour visé par une procédure d’impeachment en raison de sa participation à la tentative de coup d’État et son obstruction aux enquêtes, puis un deuxième (Choi Sang-mok, ancien ministre des Finances).

Tout cela dans un contexte social très tendu, marqué par de nombreuses manifestations des pro et anti-Yoon, qui ont bravé le froid hivernal pour soutenir le président ou demander son départ. Le mouvement pro-Yoon, dominé par les églises évangéliques, très puissantes en Corée du Sud, puise une partie de ses inspirations dans le camp trumpiste, allant jusqu’à reprendre le slogan utilisé après la défaite de 2020 « Stop the steal ». Yoon soutient en effet que le résultat des élections législatives de 2024, largement remportées par l’opposition démocrate, a été truqué, en raison de piratages informatiques pilotés depuis la Corée du Nord. 

Le camp Trump prête pour l’instant une attention très limitée à ce qui se passe en Corée du Sud. Il n’empêche que la réélection de Trump, malgré toutes les poursuites judiciaires auxquelles il fait face, alimente la rhétorique des soutiens de Yoon et les galvanise. Son refus de se rendre a également renforcé son image auprès de son clan, au point que sa cote de popularité a remonté ces dernières semaines, ses soutiens louant sa ténacité.

L’arrestation de Yoon devrait mettre fin aux manifestations quotidiennes, mais elle est loin de lever l’incertitude sur la suite des événements. La Cour constitutionnelle a jusqu’à juin pour confirmer la destitution du président. Cette dernière déclencherait alors des élections anticipées, qui devraient se tenir dans les deux mois suivant la décision. Dans tous les cas, l’instabilité politique devrait perdurer jusqu’en milieu d’année au moins. 

 

La résistance du cadre institutionnel

Il faut souligner, dans cette crise, la solidité des institutions coréennes, et notamment le rôle de l’Assemblée nationale, qui a tenu bon malgré tout. De nombreux responsables, notamment dans l’armée et la police, ont également refusé d’appliquer les ordres du président Yoon, qui les avait par exemple autorisés à tirer sur la foule et les députés qui tentaient de rentrer dans le Parlement le soir où la loi martiale avait été proclamée. 

Les débats sur les pouvoirs du président par intérim (est-il autorisé à nommer un juge à la Cour constitutionnelle ?) ont beau retarder la prise de décisions, et parfois être utilisés par le camp présidentiel pour bloquer l’avancée des enquêtes, ils attestent de la vitalité du débat politique dans cette démocratie pourtant jeune. De même, la mobilisation massive de la société civile témoigne de son attachement à ce régime. 

Cet épisode vient cependant rappeler que la classe politique coréenne reste très fragile : sur les huit présidents élus depuis 1987, quatre ont été condamnés et ont fait de la prison pour corruption et détournement de fonds. Les accusations portées à l’encontre de Yoon sont cependant inédites dans leur niveau de gravité.

 

Quel impact sur l’économie sud-coréenne ?

La fragilité politique n’est pas une bonne nouvelle pour la devise coréenne, déjà sous pression d’un dollar fort. Elle complique les arbitrages de la banque centrale, qui espérait pouvoir poursuivre son cycle d’assouplissement monétaire et redonner un peu d’air à une activité économique en ralentissement. Le jeudi 16 janvier, la BoK (Bank of Korea) a décidé de maintenir le niveau de son taux directeur à 3%, lors d’un vote divisé.

Cette dernière doit en effet composer avec le ralentissement de l’activité, en particulier sur le plan domestique (consommation et investissement), les pressions sur le taux de change exacerbées par l’instabilité politique, et ce dans un contexte où l’inflation est largement maîtrisée (sous les 2%), ce qui pourrait permettre une politique monétaire un peu plus expansionniste. 

Le won, qui s’est rapproché des 1 500 wons pour un dollar cette semaine, un niveau historique, est connu pour sa tendance à la volatilité. La devise coréenne a cédé un peu plus de 10% face au dollar sur l’année écoulée, et plus de 30% sur trois ans, une des pires performances dans la région. Point positif, les sorties de capitaux ont pour l’instant été modérées, les investisseurs n’ayant pas fortement réagi à la dépréciation du won ou aux turbulences politiques. 

 

Graphique des marchés financiers

 

 

À cela s’ajoute aussi la perspective d’une hausse des droits de douane américains, alors que les États-Unis sont devenus le premier marché d’exportations pour la Corée du Sud, notamment en raison de la reprise du cycle des semi-conducteurs. Mais, dans le même temps, l’excédent bilatéral de la Corée du Sud vis-à-vis des États-Unis a plus que doublé en trois ans, dépassant les 50 milliards de dollars, ce qui pourrait placer le pays dans le collimateur de la nouvelle administration Trump. 

Et ce, même si la Corée du Sud propose des biens à forte valeur ajoutée, elle ne fait pas partie des « pays de contournement », comme le Mexique ou le Vietnam qui exportent parfois des biens avec peu de contenu local et encore beaucoup de contenu chinois, et a largement augmenté ses investissements directs à l’étranger aux États-Unis, en particulier dans le domaine des semi-conducteurs. Soucieuse de montrer patte blanche, la Corée du Sud espère donc que ses efforts lui permettront de continuer de bénéficier d’un partenariat privilégié avec les États-Unis, elle qui dispose pour l’instant d’un accord de libre-échange avec ce pays. 

 

Graphique :  Entre Chine et États-Unis, la Corée se rééquilibre

 



Maintenir un niveau élevé d’exportations est d’autant plus crucial que l’activité domestique ralentit. Les données d’activité du mois de décembre n’ont pas encore été publiées, mais l’indice de confiance des consommateurs montre déjà de sérieux signes de faiblesse (88,4, contre 100,7 en novembre), qui pourraient se traduire par un ralentissement des ventes au détail et donc de la consommation. La trajectoire de l’inflation, repassée sous les 2% depuis le milieu de l’année 2024, témoigne de cette baisse de la demande. 

Elle pourrait toutefois connaître de nouveau des pressions en raison de l’évolution du won et de la hausse des prix des importations, notamment énergétiques, le pétrole et le gaz représentant environ 25% des importations coréennes totales. D’où un comportement conservateur de la BoK, qui souhaite sans doute attendre quelques mois pour voir si la devise se stabilise et ce qui se passe côté américain avant de s’engager dans un nouvel assouplissement monétaire.
 

Graphique : Inflation et taux d'intérêt

 

 

Depuis le 3 décembre, la Corée du Sud est plongée dans une crise politique profonde dont on ignore encore le dénouement, et ce alors que le retour au pouvoir de Donald Trump risque de peser à la fois sur le cours de sa devise et le volume de ses exportations. Dans ce contexte, un front politique uni serait préférable car, on le sait, les négociations avec l’administration américaine seront difficiles, dans un monde où chaque pays souhaitera tirer son épingle du jeu et préserver au maximum ses acquis.

Si vous souhaitez exercer votre droit d’opposition au traitement de vos données personnelles à des fins de mesure d’audience sur notre site via notre prestataire AT internet, cliquez sur le bouton ci-dessous.