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Semi-conducteurs

Très intégrée à ses débuts dans les années 1950, l’industrie des semi-conducteurs regroupait alors des acteurs couvrant l’ensemble des activités de la chaîne de valeur, de la conception au packaging final en passant par  la fabrication, l’assemblage et les tests. Au fil du temps, cette industrie s’est engagée dans une course frénétique à la miniaturisation permettant d’augmenter significativement la densité de transistors gravés par mm² sur une galette de silicium. Ainsi, on observe depuis 1965 un doublement de cette densité tous les 18 mois environ. Aujourd’hui, l’industrie des semi-conducteurs peut graver jusqu’à 300 millions de transistors par mm². Il en résulte également une industrie fragmentée et mondialisée.

Les semi-conducteurs sont présents dans le moindre équipement, simple ou sophistiqué, à usage grand public, professionnel, ou militaire. On les considère comme l’or noir de l’ère numérique et ils sont au centre d’enjeux géopolitiques et de souveraineté technologique.
 

Fragmentation et globalisation

La course effrénée à la miniaturisation participe à l’accroissement constant de la puissance de calcul des composants, à une augmentation de la capacité de stockage des données, mais aussi à la baisse des coûts. Ce qui permet au final d’accéder à des composants toujours plus sophistiqués à un coût peu élevé. Ces composants résultent d’activités de R&D et de conception coûteuses par ailleurs. Leurs procédés de fabrication sont toujours plus complexes et nécessitent des investissements colossaux dans la construction des usines et l’achat d’équipements.

Au début des années 1980, ce phénomène a conduit progressivement au concept du « sans usine » ou « fabless », modifiant profondément la supply chain de l’industrie des semi-conducteurs. Les acteurs, principalement américains, européens, japonais – et jusqu’alors verticalement intégrés – ont fait le choix de se spécialiser dans les activités à forte valeur ajoutée de R&D et conception. En parallèle, ils ont peu à peu délaissé les activités de fabrication et d’Assemblage-Test-Packaging (ATP) à haute intensité capitalistique. Cette situation a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs spécialisés dans ces deux derniers domaines, particulièrement à Taïwan, en Corée du Sud et en Chine. Tous ont bénéficié pour se développer de l’appui financier systématique de leurs gouvernements.
 

Concentration, domination et vulnérabilités 

Aujourd’hui, le centre de gravité de la supply chain de l’industrie des semi-conducteurs penche fortement vers l’Asie. Si les activités de R&D sont encore concentrées à plus de 75% aux États-Unis et 20% en Europe de l’Ouest, 90% des capacités de fabrication des fonderies se trouvent en Asie. 51% sont concentrées à Taïwan, 22% en Chine et 11% en Corée du Sud, soit 84% dans ces trois pays. Avec 92% des capacités de fabrication dite à très haute technologie, Taïwan jouit d’une situation quasi monopolistique sur cette activité de gravure très fine de 7 nanomètres (nm) à 5nm. Les activités d’ATP sont concentrées à plus de 80% en Asie, principalement en Chine. 

En 2020, la pandémie du Covid-19 a révélé les vulnérabilités des pays et de certaines de leurs industries liées à la structure de la supply chain des semi-conducteurs elle-même complexe, mondialisée et fragmentée. 

Depuis, et dans un contexte de tensions géopolitiques, les principaux pays leaders – Chine, Corée du Sud, États-Unis, Japon, Taïwan, Union européenne (UE) – œuvrent tous à renforcer ou à reconstruire leur autonomie en matière de fabrication de puces électroniques, en quête de suprématie technologique et d’autonomie stratégique. 
 

Les États-Unis dégainent le CHIPS Act 

Dans ce contexte, les premiers textes de loi visant à dynamiser la recherche nationale en haute technologie et à reconstituer les capacités de fabrication des semi-conducteurs prioritairement aux États-Unis datent de 2019-2020. Ces travaux ont conduit à l’élaboration du « Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors and Science Act of 2022 » ou CHIPS Act qui a finalement été ratifié et promulgué en loi le 9 août 2022 par le gouvernement américain. Celui-ci a été suivi par la ratification et la promulgation en loi de l’« Inflation Reduction Act of 2022 » ou IRA le 16 août 2022, visant également à favoriser plus largement la production sur le sol américain. 

Le CHIPS Act est un paquet législatif global de 280 Md$ sur 10 ans, dont 52,7 Md$ sont dédiés aux semi-conducteurs sous forme de fonds publics destinés à la R&D, à la formation de ressources, à la construction d’usines ainsi qu’aux besoins en semi-conducteurs spécifiques dédiés à la défense nationale. À cela s’ajoute un crédit d’impôt de 25%, soit une enveloppe de 24 Md$ environ, pour tout investissement dans des usines sur le territoire américain à condition d’en démarrer la construction avant 2027.
 

Le double objectif des Américains

Le CHIPS Act de 2022 a pour objectif de revitaliser l’industrie américaine des semi-conducteurs et de promouvoir l’économie et la souveraineté nationale. Par ailleurs, les États-Unis exercent un contrôle strict des exportations des semi-conducteurs vers la Chine depuis 2018, resserré par les amendements apportés à cette politique en octobre 2022. Ces dernières mesures s’étendent à toute entreprise dans le monde utilisant des composants et des équipements américains dans la fabrication de ses produits. Elles visent également plusieurs types de technologie au-delà des semi-conducteurs et compliquent de fait les exportations dans ces domaines des entreprises étrangères vers la Chine. 

Ainsi, l’application simultanée de ces deux politiques permet aux États-Unis d’atteindre un double objectif : renforcer la recherche nationale dans les semi-conducteurs et sécuriser davantage la supply chain d’une part et, d’autre part, élargir le périmètre de la surveillance technologique, notamment aux supercalculateurs, à l’intelligence artificielle et aux logiciels. 
 

Quel impact sur l’industrie européenne ? Le cas ASML

Une entreprise européenne est ainsi prise en étau dans le contexte géopolitique tendu entre les États-Unis et la Chine. Il s’agit d’ASML, le leader mondial dans les équipements très sophistiqués de gravure par lithographie des transistors sur les galettes de silicium. Basé aux Pays-Bas, ASML est aussi le seul équipementier dans ce domaine qui propose des équipements utilisant la lumière de l’extrême ultraviolet ou EUV permettant des gravures extrêmement fines de l’ordre de 7nm ou 5nm, voire moins. 

ASML, qui utilise des composants américains dans la fabrication de ses équipements, est de fait impacté par les restrictions américaines à l’exportation vers la Chine.
 

Quelle stratégie pour l’Europe ?

L’Union européenne a entrepris une démarche similaire en adoptant en février 2022 l’EU CHIPS Act. L’objectif est également de retrouver une souveraineté technologique et d’assurer une certaine maîtrise de la supply chain des semi-conducteurs, en s’appuyant sur les atouts européens en matière de R&D tout en intégrant la production de puces à haute technologie (nœuds de 2nm ou moins). L’UE vise ainsi un doublement de la production européenne à l’horizon 2030 avec 20% de la production mondiale contre 10% aujourd’hui. 

À travers ce paquet législatif de 42 Md€ de fonds publics, l’UE espère ainsi attirer les investisseurs privés pour atteindre environ 90 Md€ d’investissements au total. Les principaux acteurs de cette industrie ont déjà manifesté leurs intérêts à investir dans des sites de fabrication : Infineon (Allemagne) avec 5 Md€ dans une usine à Dresde, Intel (USA) dans une usine à Magdebourg dans le cadre d’un plan global de 80 Md€ sur 10 ans en Europe, ST Microelectronics (franco-italien) qui prévoit 730 M€ dans une usine en Italie et 5,7 Md€ dans une usine à Crolles en France en joint-venture avec Global Foundries (USA), TSMC (Taïwan) en discussions avancées pour une usine à Dresde en Allemagne.

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