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L’exception suédoise sera-t-elle payante ?

La stratégie du « non-confinement »

La Suède a adopté une approche spécifique dans la gestion de la crise sanitaire, suscitant une curiosité sans précédent de la part des médias internationaux. Tandis que le confinement de la population est devenu la norme à travers le monde, y compris dans les pays nordiques voisins, le gouvernement suédois a choisi une stratégie plus souple, sur la base de recommandations et de contrôles, et reposant sur le principe de confiance dans la responsabilité et la discipline des citoyens. Cela a provoqué le scepticisme, voire le rejet de la part de quelques dirigeants politiques, avant que l’Organisation mondiale de la santé ne reconnaisse, le 29 avril dernier, que la stratégie suédoise pourrait servir de modèle pour d’autres pays.

Dans une interview pour France 24, le 4 mai dernier, la ministre des Affaires étrangères, Ann Linde, a défendu la stratégie de son gouvernement, expliquant qu’il poursuivait les mêmes objectifs que tous les autres gouvernements, notamment celui de ralentir la propagation du virus, d’« aplatir la courbe de l’épidémie » et de protéger les capacités du système de santé, tout en atténuant l’impact sur les entreprises et les emplois. Il s’agit d’une combinaison de recommandations de distanciation sociale (telles qu’encourager le travail à domicile lorsque cela est possible), d’une part, et de mesures légalement contraignantes dans certains cas spécifiques, comme l’interdiction de visites aux personnes âgées (mise en place assez tôt dans l’épidémie), d’autre part. Les restaurants, les bars, les clubs de nuit, les cantines des écoles et, de manière générale, tout établissement servant de la nourriture, continuent de fonctionner, mais à condition qu’ils respectent les règles de distanciation sociale (distance d’un bras entre les clients, espacement des tables), faute de quoi ils sont obligés de fermer. Par ailleurs, les écoles primaires sont restées ouvertes, notamment pour permettre aux parents exerçant dans le secteur de la santé de travailler, tandis que les universités et certaines écoles secondaires ont été fermées.

Le gouvernement a par ailleurs autorisé toute personne présentant des symptômes de la maladie à rester chez elle, sans obligation de fournir un certificat médical et sans jour de carence pour les indemnités maladie. La ministre souligne qu’il ne s’agit pas d’une stratégie d’immunité collective, même si la Suède pourrait en effet y arriver plus vite que d’autres pays (26% de la population de Stockholm serait à présent immunisée, selon le modèle mathématique de l’Agence de santé publique), tout en avouant que l’arrêt de la transmission de la maladie n’est pas un objectif. Le gouvernement se félicite que, pour le moment, la stratégie soit un succès : 20% des lits en réanimation seraient libres. Sa confiance en la population semble également justifiée : par exemple, le gouvernement a conseillé de ne pas se rendre dans les destinations touristiques les plus populaires à la période de Pâques et il y a eu, selon la ministre, une baisse de la fréquentation de 96% de ces endroits.

En ce qui concerne la circulation des personnes vers et depuis l’étranger, la Suède, pays membre de l’Union européenne (UE), applique la politique de l’UE qui interdit les déplacements vers et depuis les pays non-UE, mais a laissé ouvertes ses frontières avec les autres pays de l’UE. Néanmoins, dans la sphère du tourisme, le gouvernement recommande de ne pas faire de déplacements non nécessaires depuis et vers l’étranger jusqu’au 15 juin.

 

Pourquoi la Suède peut-elle se permettre une stratégie plus souple que les autres pays ?

Un argument souvent avancé est la démographie spécifique du pays, notamment le fait que la Suède est le pays européen avec la plus grande proportion de ménages composés d’un seul individu. En effet, plus de la moitié des ménages (57,3%, soit le plus haut taux dans l’UE) sont composés d’une personne adulte sans enfant, comparé à 34,3% en moyenne dans l’UE. Avec moins de personnes par foyer, la propagation du virus devrait a priori être moins importante que dans d’autres pays. Selon les autorités, les contaminations par le virus sont les plus élevées dans les quartiers du nord de Stockholm où vivent plus de personnes à faibles revenus, et probablement dans des appartements plus petits. De manière générale, la densité de la population est parmi les plus faibles en Europe (25 personnes par kilomètre carré, selon Eurostat, un chiffre supérieur uniquement à celui observé dans les autres pays nordiques).

Un autre argument en faveur de la stratégie du gouvernement est l’idée que la Suède serait mieux préparée au télétravail que d’autres pays. Selon Eurostat, la Suède est proche de la moyenne européenne en termes de taux de travail au domicile (5,9% des emplois, contre 5,3% dans l’UE), mais la structure de l’emploi s’y prête probablement plus facilement. La Suède se classe deuxième dans le monde (après la Suisse) en termes de proportion d’emplois dans des secteurs fondés sur de hauts niveaux de connaissance, tels que les nouvelles technologies, les services avancés et les industries créatives (10,2%, selon The Brain business job index 2020 de The European Centre for Entrepreneurship and Policy Reform), pour lesquels le télétravail est naturellement plus facile à mettre en place. Par ailleurs, la digitalisation de la population suédoise est très avancée (92% des Suédois utilisent Internet selon les données de l’ITU) et la qualité du réseau est très bonne, puisque 69% des connexions Internet haut débit se font via la fibre optique, selon l’OCDE.

Enfin, sur le plan sanitaire, la Suède occupe la 7e place au monde parmi les pays les mieux préparés pour lutter contre la pandémie selon l’indice de sécurité sanitaire mondial (2019) de The John Hopkins Center for Health Security. En revanche, d’autres sources montrent que la Suède dispose d’un nombre relativement faible de lits d’hôpital par habitant (2,2 lits pour 1 000 habitants en 2017, selon l’OCDE).

 

Quel est le bilan de l’épidémie à ce jour ?

Par rapport aux pays européens les plus touchés par la pandémie, comme l’Italie, l’Espagne, la France ou le Royaume-Uni, la Suède compte un nombre de cas de Covid-19 et de décès bien moins élevé. En revanche, une comparaison avec ses voisins scandinaves, où les règles de confinement sont beaucoup plus strictes, la place dans une position bien moins flatteuse. En Suède, le pic de l’épidémie semble être arrivé plus tardivement, si on regarde le nombre de nouveaux cas : il se situe autour du 25 avril, contre le 8 avril au Danemark ou le 28 mars en Norvège. Mais c’est surtout comparativement à la taille des populations que le contraste est saisissant. La Suède, qui est le plus grand des pays nordiques avec 10,3 millions d’habitants, dénombre au 6 mai 23 216 cas Covid-19 et 2 854 décès depuis le début de la pandémie, ce qui représente un taux de décès de 27,6 pour 100 000 habitants. Avec à peu près deux fois moins d’habitants (près de 5,4 millions), la Norvège compte 209 décès pour 7 903 cas, soit un taux de décès de 3,9 pour 100 000 habitants. La France, quant à elle, avec près de 67 millions d’habitants, déplore 25 531 décès, soit un taux de 38,1 décès pour 100 000 habitants.

 

L’exception suédoise sera-t-elle payante en termes économiques ?

La contraction du PIB au premier trimestre, -0,3% en variation trimestrielle, a été beaucoup plus contenue que dans les pays de la zone euro, selon les chiffres préliminaires de Statistics Sweden, qui note que les exportations ont augmenté, tandis qu’une baisse de l’investissement et les variations de stocks ont contribué négativement à la croissance. Néanmoins, les indicateurs avancés disponibles pour le deuxième trimestre suggèrent que la Suède n’évitera pas une récession significative au premier semestre, ainsi qu’une remontée du taux de chômage, malgré l’absence de confinement strict et en dépit des généreuses mesures de soutien par les autorités (dont un plan d’aide au système de santé et au marché du travail de plus de 100 milliards de couronnes suédoises, soit 2% du PIB). L’indicateur de tendance économique de l’Institut national de recherche économique (NIER), qui agrège les réponses des consommateurs et des entreprises, a baissé de 34 points à 58,6 en avril depuis 92,5 en mars, soit 8 points sous le niveau le plus bas de la crise financière de 2008. Petite économie ouverte (les exportations de biens et services représentent près de 45% du PIB), la Suède sera impactée par la contraction de la demande mondiale, notamment européenne. Au mois de mars, les commandes manufacturières ont chuté de 9,6%, tirées à la baisse surtout par les commandes de biens d’équipement (-21% sur le mois). L’investissement, qui s’était déjà contracté de 1,1% en 2019 en raison de l’incertitude sur la demande future, devrait accentuer sa baisse. Mais c’est surtout la consommation des ménages qui devrait accuser le plus fort repli car, même s’il n’y a pas de fermeture des activités non-essentielles, le choc sur la confiance et, plus fondamentalement, la hausse du taux de chômage et la baisse des revenus devraient provoquer un repli des dépenses de consommation.

Au total, la chute du PIB au deuxième trimestre devrait être proche de 10%, selon les prévisions de la Riksbank. Dans ses deux scenarios alternatifs de perspectives économiques, construits en fonction de la durée de la crise sanitaire et des mesures mises en place pour la contenir, d’une part, et de la vigueur de la reprise économique mondiale, d’autre part, la Banque centrale anticipe un repli de 7% et 10% respectivement du PIB en 2020 (suivi par un rebond de 4,6% et 1,7% en 2021) accompagné d’une hausse du taux de chômage à près de 10% et 11% respectivement dans les deux scénarios.

 

Quels risques à court et moyen termes ?

Les déséquilibres de long terme de la Suède vont indéniablement s’aggraver en raison de la crise. La tendance à la hausse des inégalités, qui s’était interrompue ces dernières années grâce à l’amélioration des conditions sur le marché du travail, risque de reprendre. L’intégration de la population issue de l’immigration et notamment des réfugiés sur le marché du travail se fera plus difficilement, ce qui à son tour implique des risques pour la stabilité politique et favorisera sans doute la popularité des démocrates de Suède (Parti d’extrême-droite).

Par ailleurs, l’endettement des ménages, talon d’Achille des pays du Nord, et notamment de la Suède où il dépasse 160% du revenu disponible (contre près de 94% pour la moyenne en zone euro, selon Eurostat), devrait repartir à la hausse. Une correction significative du marché immobilier suédois, déjà fortement surévalué, est donc à prévoir.

 

Slavena Nazarova - slavena.nazarova@credit-agricole-sa.fr 

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