Le nouveau rôle des puissances secondaires
Qu’y a-t-il de commun entre le contrat de GNL du Qatar avec la Chine, la baisse de production de pétrole par l’Arabie saoudite contre l’avis des États-Unis, les livraisons récentes de Gazprom à l’Azerbaïdjan [1], les frappes turques en Syrie ou la probabilité que les BRICs s’élargissent à l’Arabie saoudite ?
En fait, tous les signaux vont dans le même sens : beaucoup de puissances, souvent qualifiées de secondaires par la géopolitique, sont de plus en plus autonomes géo-économiquement. Elles tiennent moins compte des consignes ou des menaces des grandes puissances. Or, ce « petit jeu » va être aussi déterminant pour l’économie que le Grand Jeu de l’affrontement États-Unis/Chine.
Cette autonomie vient de pays du type Inde, Turquie, pays du Golfe ou Brésil mais aussi d’États comme le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, le Vietnam ou la Malaisie. La liste est longue ! Elle inclut aussi des pays en alliance militaire avec les États-Unis, mais qui font parfois cavalier seul – que l’on songe à l’échappée du chancelier Scholz en Chine, ou à la relation de l’Arabie avec la Russie. Biden peut bien manger son chapeau, rien n’y changera.
Notons qu’il ne s’agit pas seulement d’une autonomie de fait, mais d’un véritable activisme : tous ces pays veulent profiter d’opportunités ouvertes par le cumul des chocs (guerre, Covid…) pour prendre des positions politiques dans leur périphérie, accroître leurs échanges, surtout régionaux, et attirer des investissements. Ils cherchent à accumuler de la puissance et de l’indépendance en phase de déséquilibre global. Et cela va très vite, car la crise climatique crée une urgence qui nourrit, pour l’instant, le monde du chacun pour soi.
Plusieurs facteurs se conjuguent pour donner de la marge aux puissances secondaires. Les performances économiques pour ceux qui bénéficient de la situation actuelle, surtout dans les pays du Golfe. La rivalité États-Unis/Chine, qui augmente l’attractivité ou le pouvoir de négociation de certains pays. Le statut d’État pivot pour d’autres, comme la Turquie. Quant aux chaînes de valeur, elles rendent tout puissant dès lors qu’un pays en maîtrise exclusivement un segment – d’autant que la transition climatique déplace les avantages comparatifs. Et il est fort possible que l’économie des ressources soit de plus en plus organisée par des cartels du type OPEP. Enfin, surtout, c’est la peur d’une guerre des ressources et de pénuries qui pousse tous les États, petits ou grands, vers plus d’autonomie.
Est-ce à dire que le scénario de deux blocs a de sérieuses limites ? En fait, l’indépendance se déploie en même temps que la logique de blocs, rien n’est binaire. De plus, la fragmentation géo-économique témoigne d’un rééquilibrage de puissance que les sciences politiques annoncent : dès lors qu’un système-monde est affaibli, structuré par des relations entre le centre et sa périphérie, c’est aussi cette dernière qui va réinventer de nouveaux équilibres. Ce rééquilibrage auquel nous assistons est un moment nécessaire, à condition cependant qu’il ne vire pas au chacun pour soi d’États qui préparent leur survie. À condition qu’il nourrisse la résilience commune. À condition qu’il n’empêche pas de réinventer un système de production, de répartition, de régulation et de valeurs, compatible avec le nouveau régime climatique et la protection de la biodiversité. La question est : que vont faire demain de leur puissance ceux qui la conquièrent aujourd’hui ?
Pour plus d’information, consulter notre publication du 30/11/2022 – Géo-économie – Le nouveau rôle des puissances secondaires
1 Source : Eurasianet