Union européenne : après le pétrole, le gaz ? Comment faire face ?
Le Conseil européen vient d’acter un embargo partiel sur le pétrole. L’embargo doit dissuader plus fortement encore les entreprises importatrices, les armateurs, les assureurs et les financiers de s’associer aux achats de pétrole russe.
En théorie, ces incitations doivent conduire à une plus forte décote sur le prix du pétrole russe. L’ampleur de la décote et l’impact sur la production russe dépendront de sa capacité à dérouter ses flux vers l’Asie. Dans l’immédiat, la nouvelle demande européenne auprès d’autres fournisseurs tend le marché mondial et se traduit par une remontée des prix. L’annonce d’une hausse anticipée de la production de l’Opep n’ayant pas été jugée suffisante par les marchés.
Plafonner le prix de l’énergie ? La réflexion avance
Quant à l’embargo sur le gaz, il n’est pas envisagé : il est difficile de trouver des sources alternatives et seul un lent processus de réduction de la dépendance vis-à-vis des importations russes est prévu. Des actions sont en revanche envisageables sur le prix. Plusieurs pays, dont l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Portugal et la Grèce, ont en effet émis des propositions soit d’un plafonnement du prix du gaz (plafond ou bandes de fluctuation pour le prix traité sur le marché virtuel aux Pays-Bas, plafond pour les coûts de transport du gaz liquéfié), soit de découplage des prix du gaz et de l’électricité. Mais, leurs propositions se sont jusqu’ici heurtées au scepticisme des Pays-Bas et de l’Allemagne.
Jusqu'à présent, ce type de solution a été plutôt favorablement accueillie par la Commission. Celle-ci a déjà analysé les différentes options, notamment : des compensations financières des producteurs d’électricité d’origine fossile, un plafonnement direct du prix de l’électricité de gros ou des interventions règlementaires pour limiter les profits de certains acteurs du marché. La Commission a déjà décrit les avantages et les inconvénients de tels mécanismes : entrave à la concurrence, désincitation à l’investissement notamment dans les énergies alternatives, désincitation plus globale de l’offre. Sollicité par la Commission et rendu public au mois de mai, le rapport de l'ACER (Agence de coopération des régulateurs de l’énergie) n’a pas proposé de solutions supplémentaires à celles déjà explorées par la Commission. Tout en concédant que le marché de l’électricité européen n’a pas été conçu pour affronter des situations d’urgence telles que la situation à laquelle l’Europe fait actuellement face, il reprend les mêmes options et souligne les risques liés à des mesures d’urgence mal conçues. L’ACER classe néanmoins ces mesures selon leur « dangerosité », classement dont la Commission pourrait s’inspirer. Mais ce rapport a été jugé fondamentalement décevant et décrit par la présidente de la Commission comme un « tout petit pas ».
Un consensus sur l’urgence d’agir semble avoir été atteint et le Conseil européen a invité la Commission à poursuivre rapidement les travaux relatifs à l'optimisation du fonctionnement du marché européen de l'électricité dont l'incidence qu’y exercent les prix du gaz. Le fait de lier le prix des énergies renouvelables à celui du gaz était en effet peut-être justifié lorsque le gaz était la forme d'énergie prédominante dans la production d'électricité. Mais, aujourd'hui, alors que les énergies renouvelables occupent une place croissante dans le mix énergétique, le rattachement des énergies renouvelables au prix du gaz ne semble plus être justifié. C’est notamment encore moins justifié en période de forte volatilité du prix du gaz, lorsque cet ancrage occasionne des profits extraordinaires pour les producteurs d'énergies renouvelables.
Toute solution permettant au marché de résister à la volatilité excessive, présente et future, des prix afin de fournir une électricité abordable devra être arbitrée sous contraintes : un marché adapté à un système énergétique décarboné, le maintien des incitations à la transition écologique, la sauvegarde de la sécurité d'approvisionnement, la préservation de l'intégrité du marché unique et, enfin, des coûts budgétaires limités.
Classement des options pour contrer la hausse des coûts de l’énergie : de la plus à la moins souhaitable (Rapport de l’ACER)
Dans l’attente d’une décision commune sur le gaz, les pays avancent, chacun de leur côté, en essayant de limiter l’impact budgétaire des mesures.
Le premier meilleur choix
Du point de vue macroéconomique, la situation actuelle demande le déplacement du débat sur le policy-mix à adopter (plus de budgétaire ou de monétaire) vers un autre terrain qui est celui de la politique de régulation. S’agissant d’un cas typique de choc d’offre provoqué par une défaillance du marché (le pouvoir d’un fournisseur monopolistique), une intervention des États sur les prix se justifie et se pose comme une solution supérieure à toute autre.
Une intervention permettant de découpler temporairement le prix de l’électricité de celui du gaz est la seule permettant de juguler l’inflation. Ni une politique budgétaire de soutien du pouvoir d’achat, ni une action de la Banque centrale n’y parviendraient.
La politique budgétaire pourrait aboutir à une inflation moindre seulement en agissant sur les taux d’imposition de l’énergie, mais cela aurait un coût budgétaire important. La politique monétaire ne peut pas, par la remontée des taux, freiner l’inflation liée aux prix des matières premières. Elle peut tout simplement, en induisant un ralentissement de l’activité et de la demande d’emplois, interrompre le lien entre inflation et hausse des salaires. L’activation de ce lien n’est pour l’instant pas visible dans la zone euro. La Banque centrale peut en revanche éviter que les anticipations des agents ne s’ancrent sur une inflation plus élevée en montrant sa détermination à la combattre. Mais, le coût en termes de perte d’activité pourrait se révéler élevé si une inflation importée indomptée venait miner sa crédibilité. Enfin, l’activation de la politique commerciale, par l’imposition d’un tarif douanier sur les importations de gaz russe a aussi été explorée. Sa logique serait double : augmenter le prix pour le consommateur et limiter ainsi la demande, induire une baisse du prix avant les droits de douane et distribuer la recette douanière aux consommateurs. Ce double avantage repose uniquement sur l’hypothèse que la Russie baisse son prix, ce qui n’est pas acquis.
La prochaine réunion du Conseil européen fin juin pourrait aboutir à une décision sur le plafonnement du prix de l’énergie, mais d’ici là le risque de mesures de rétorsion sur la fourniture de gaz aura augmenté. Garder un front commun, des actions coordonnées et des politiques de solidarité, soit les bases d’un futur marché unique de l’énergie, sera alors le véritable défi pour l’Union.