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Chroniques électorales américaines : comment manœuvrer face à un éléphant quand on est nombreux dans un couloir ?

La campagne pour les élections démarre sous des auspices favorables à D. Trump, mais la route est longue pour tout le monde. Ce qui est certain, en revanche, c’est que nous allons avoir des surprises. Pourquoi ? Parce que la scène politique américaine est en pleine refonte, et ce n’est pas simplement une histoire d’hommes ou de partis. C’est une histoire plus profonde et plus historique. Une histoire de crise de la démocratie, de blocage des institutions, de polarisation et de position idéologique à réinventer, face à des contraintes et des aspirations nouvelles. En somme, la question est celle du résultat, mais aussi de la nature des débats, parmi les gagnants comme les perdants, qui vont forger les préférences des électeurs pour les années à venir. Ces dernières font bouger la politique, puis l’économie, qui est paraît-il, faite de fonctions de préférence sous contraintes...

C’est dans cet esprit que nous démarrons ces chroniques, où nous traiterons des différents camps et débats. Ces débats vont orienter les curseurs idéologiques du pays et donc les politiques économiques. Les États-Unis doivent être vus cette année comme un laboratoire politique.

L’éléphant…

Pour l’instant, le bruyant président est conforté par un taux de confiance dans l’économie qui est au plus haut : 63% des Américains jugent favorablement son action dans ce domaine. Ainsi, même si d’aucuns alertent à raison sur un cycle de croissance qui n’en finit pas ; même si ce cycle est appuyé sur des déséquilibres macro-économiques qui n’en finissent pas non plus de s’accroître, la population fait résolument confiance à l’économie. Et il faut dire que le taux de chômage est au plus bas depuis cinquante ans. De tout cela, donc, Trump profite. Mais ne nous trompons pas : qu’on le veuille ou non, la consolidation de son électorat va au-delà de cette satisfaction économique.

Bien qu’il soit un résident dont le taux d’opinions favorables est toujours resté sous la barre des 50%, et bien qu’il ait été « mal élu » (c’est-à-dire non sur un nombre de voix majoritaires, mais par l’alchimie institutionnelle de ses 306 grands électeurs), D. Trump est dans une phase où les opinions favorables grimpent. Elles sont désormais à 49%, au plus haut depuis son élection. Autrement dit, il ne peut plus être considéré, comme le faisaient certains observateurs au moment de son élection, comme un accident de l’histoire : il a construit sa légitimité. C’est la première différence par rapport à 2016.

Par ailleurs, on savait qu’une partie de ses électeurs est quasi-fanatisée (ceux qui, dit-il, peuvent tirer sur quelqu’un dans la rue s’il le leur demandait). Mais il était plus difficile d’anticiper la fidélisation d’une autre part de son électorat : à savoir ceux qui avaient voté d’abord Obama, puis Trump, choix motivé par le rejet des élites. Mais ce principe de rejet s’est transformé en vote d’adhésion. Donc, deuxième point de différence par rapport à 2016 : la dynamique politique derrière Trump est nouvelle, bien que le président joue encore à fond la carte de la polarisation.

Enfin, l’opinion favorable des électeurs dits « indépendants » a progressé de 5 points depuis septembre. Or, comme dans toutes les grandes démocraties qui ont été touchées depuis trente ans par la désaffection du politique et l’abstention, la mobilisation de ces indépendants va être un enjeu essentiel (45% des électeurs se déclarent Indépendants, contre respectivement 27% et 28% républicains ou démocrates).

… Et les autres ? Ceux qui sont serrés dans le couloir ?

On parle là des démocrates. Pour l’instant, ça démarre mal. Le caucus de l’Iowa[1] a surpris à la fois par son organisation désastreuse (Buttigieg et Sanders se réclament tous les deux de la victoire), mais aussi par la position du junior de la course (Buttigieg), qui lui a apporté une notoriété qu’il n’avait pas. Les effets de ce grand cafouillage de décompte ne sont pas à prendre à la légère. Il faut mettre cela en regard avec le soupçon d’illégitimité de procédure qu’ont les électeurs de Sanders, qui avaient accusé la direction du parti d’avoir favorisé la nomination de Clinton en 2016. C’est bien la légitimité des primaires qui est en jeu. Et donc, la difficile reconstitution de la gauche américaine.

Encore traumatisés par la défaite de 2016 qu’ils ont eu du mal à comprendre, les démocrates sont en effet en pleine refonte idéologique. Pour cela, ils cherchent à lever l’aspect trop bureaucratique du parti, pour définir les contours d’une nouvelle politique sociale et d’un « Green New Deal ». Cette redéfinition a été visible sur l’aile gauche du parti dès l’élection de 2016, dont beaucoup ont dit que Sanders en avait été le vrai gagnant idéologique (rappelons que dans le Wisconsin et le Michigan, deux des « swing states » qui ont basculé pour Trump, il avait gagné les primaires…). Effectivement, les idées de Sanders, qui se dit être un « socialiste démocrate », séduisent les jeunes, ainsi que tous les mouvements de résistance à Trump. Ce sont aussi ces idées qui orientent les débats du parti, notamment avec le principe de couverture santé universelle, de gratuité de l’éducation supérieure et de la nécessité d’une fiscalité plus juste. En fait, les autres candidats se positionnent autour de ces thèmes, avec plus ou moins de radicalité. Et Sanders a fait école, puisqu’il n’est plus le seul candidat de la transformation radicale, concurrencé par exemple par Warren.

Penser à gauche ? Ou plus à gauche ?

L’enjeu de ces primaires est de savoir si elles vont emmener les démocrates plus à gauche ou vers un centre classique, représenté jusqu’à présent par Biden et que Buttigieg pourrait conquérir. Dans ce cas, le candidat modéré réussira-t-il à attirer les voix radicales, ce que Clinton avait échoué à faire ? « Sanders or bust » disent beaucoup de jeunes. À ce jour, Biden ne récupère que 7% des voix de Sanders... Quant au cas où les primaires emmèneraient le parti sur sa gauche, les élections deviendraient alors un champ spectaculaire de polarisation idéologique. Et que dire de la gouvernabilité américaine ensuite ?

Enfin, comme dans toute l’Europe, la question intéressante pour les années à venir est celle de la re-construction idéologique (ou non) d’une « Nouvelle Gauche », face à une « Nouvelle Droite » dont on cerne mieux, à ce jour, les acteurs et les points d’ancrages politiques et économiques. Mais pour cela, il va falloir surmonter deux obstacles. Le premier, c’est la polarisation entretenue par les réseaux sociaux et le personnage de Trump. Les compromis sont plus difficiles et le champ politique très « hystérisé », ce qui ne facilite pas le débat d’idées. Plus la polarisation sera extrême, plus le débat ira sur les valeurs, plus la logique du vote risque d’être populiste, à droite comme à gauche. On peut remercier Sanders de protéger pour l’instant les démocrates du risque de populisme de gauche.

Deuxième obstacle, la tendance pointée par Mark Lilla d’un abandon du combat social au profit de la culture des identités[2], car les débats sur la race et le genre peuvent envahir la discussion publique. Il ne s’agit pas de savoir si ces débats sont légitimes, mais dans quelle mesure ils risquent d’« aspirer » la politique et de faire fuir les électeurs en recherche d’une proposition sociale inspirante et crédible.

Au final, les trois prochaines échéances de février (le New Hampshire, le Nevada et la Caroline du Sud) vont donner des indices quant au positionnement du curseur idéologique à gauche, mais il va falloir le « Super Tuesday » du 3 mars pour avoir une réponse claire, avec quatorze États qui vont se prononcer. On connaîtra alors les rapports de force au sein du parti, le risque majeur étant celui de l’éparpillement. Dans ce cas, la dynamique des primaires pourrait se noyer dans des négociations de couloir au détriment des logiques électorales.  

[1] Le caucus de l’Iowa est un événement électoral pendant lequel les habitants de l’État américain de l’Iowa élisent, au sein du parti politique qu’ils soutiennent, leurs délégués de circonscription pour la convention de comté. Chacune des conventions des 99 comtés que compte l’Iowa sélectionne ensuite des délégués pour les conventions des districts congressionnels et de l’État, lesquels choisissent finalement les délégués pour la convention nationale.

[2] Mark Lilla : « La gauche identitaire, l’Amérique en miettes ».

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