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2021 : année charnière

Après une année 2020 dramatique, 2021 laisse entrevoir des lueurs d’espoir.

Si, au premier semestre 2021, le sort de l’activité économique reste déterminé par l’évolution de la pandémie et l’espoir d’un développement progressif de l’immunité dans la population, on peut envisager, à partir du deuxième semestre, un relâchement des contraintes de mobilité et un redémarrage plus soutenu de l’activité. Ce retour progressif à la normale devrait entraîner le retrait graduel des mesures de soutien à l’économie. C’est alors que se révélera le véritable héritage de la crise, notamment en termes de mortalité d’entreprises, de dégâts sur la profitabilité et finalement sur l’emploi, dégâts jusqu’ici masqués par un soutien public, monétaire et bancaire extraordinaire.

L’année 2021 sera caractérisée non seulement par l’existence de ces forces contrastées, mais aussi par le questionnement sur la possibilité d’un retour en arrière à la « normalité ». Ce questionnement ouvrira des débats fondamentaux qui ne seront pas achevés à la fin de l’année, mais s’inscriront dans le temps long. Les conclusions de ces débats structurants configureront la normalité post-Covid, ancienne ou nouvelle. Poussée par la peur du changement ou par la conviction de la validité du modèle existant, la tentation d’éviter le questionnement peut être grande.

Des chocs d’une nouvelle nature

La crise de la Covid-19 est un avant-goût, amer, des chocs de différente nature (sanitaire, climatique, géopolitique) susceptibles de nous frapper à l’avenir, vraisemblablement avec une plus haute fréquence. Leur nature et leur puissance nous obligent à nous interroger sur la configuration la plus efficace des institutions de régulation permettant d’y faire face. Ces chocs sont très différents des chocs engendrés par l’accumulation de déséquilibres par certains acteurs économiques que les économies avancées ont connus, de manière régulière, depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Les institutions construites dans l’après-guerre ont été progressivement façonnées pour répondre à la première génération des chocs, ceux d’accumulation. En Europe, c’est le modèle de libéralisme régulé, sur lequel est fondé le principe de l’économie sociale de marché inscrit dans les traités fondateurs, qui s’est imposé et qui a forgé les institutions communes. Dans ce modèle, l’État se porte garant du cadre dans lequel les acteurs privés évoluent en toute autonomie. Il doit assurer le fonctionnement efficient des marchés et empêcher la constitution de monopoles dommageables à la concurrence. En revanche, son intervention est plus limitée en matière de régulation conjoncturelle et de protection sociale. La création de l’Union économique et monétaire s’est de plus en plus inspirée de la conception allemande de libéralisme régulé (ou « ordolibéralisme ») qui a donné la priorité à la logique mercantiliste et à l’objectif de stabilité des prix, inhérents à un modèle de forte puissance commerciale. Le principe d’aléa moral a marqué la frontière de l’intervention étatique mais également défini la logique d’ajustement des déséquilibres. Le risque d’une redistribution forcée entre des États n’ayant pas opté pour la mutualisation des ressources l’exigeait : une accumulation excessive de déséquilibres doit être suivie d’une nécessaire correction, aux frais de l’acteur responsable.

Le nouvel environnement nous oblige-t-il à remettre en question la philosophie fondamentale du système existant ? Probablement pas, il exigera néanmoins des adaptations.

 

L’organisation de la coordination des politiques économiques et du rôle du marché

 

L’ajustement par l’action des marchés n’est ni justifiable ni économiquement efficace face à des chocs tels que celui de la Covid ou d’autres chocs exogènes éventuels. Le rôle final d’agent assurantiel joué par l’État ne peut être remplacé par aucun autre mécanisme institutionnel avec les mêmes efficacité et légitimité démocratique. La notion d’aléa moral est inappropriée pour organiser la gestion de l’endettement qui fait suite à un choc d’une telle nature. Le levier de la pression par les marchés peut se retrouver en conflit avec l’objectif poursuivi par la politique budgétaire et son rôle de coupe-circuit en dernier ressort. L’objectif de réduction de l’endettement consécutif à un choc aussi violent peut nécessiter une trajectoire d’amortissement différenciée et un accompagnement monétaire.

La « muraille de Chine » érigée dans les années quatre-vingt entre politique budgétaire et politique monétaire se justifiait par un environnement d’inflation et de taux élevés. La logique de coopération et de complémentarité entre institutions monétaires et institutions budgétaires pourrait désormais se révéler plus pertinente alors que prévalent taux structurellement bas, tendances déflationnistes et niveaux de dettes élevés. Une « division du travail » coordonnée entre banque centrale et autorité budgétaire, via l’intégration par chacune de l’objectif de l’autre dans sa fonction de réaction, pourrait contribuer à une plus grande efficacité et à une plus grande crédibilité sans nécessairement remettre en cause la poursuite de leurs objectifs respectifs. À long terme, le risque de domination budgétaire existe en cas de retour de l’inflation, de réduction de la taille du bilan de la Banque centrale européenne ou de réappréciation du risque souverain par les marchés.

Préparer ce long terme grâce à une révision de la gouvernance européenne y compris par la création d’institutions démocratiquement responsables chargées de la gestion de la « dette pandémique » est donc un passage obligé. Il ne s’agit pas de se débarrasser du modèle existant : il s’agit de dédier les institutions actuelles à des chocs endogènes de faible ampleur et de prévoir un cadre aménagé d’intervention pour des chocs exogènes majeurs.

 

Le retour de la souveraineté et la question de son échelon pertinent

La crise sanitaire a aussi révélé que le rôle de l’État, qui semblait amoindri par la mondialisation et la financiarisation, est encore puissant et qu’un rééquilibrage de la relation entre État et société est en cours. Notamment, en Europe, la gestion de la crise a souligné à quel point la souveraineté ne se référait plus exclusivement à la capacité de l'État à prendre des décisions sans entraves à l'intérieur de ses frontières, mais plutôt à une mise en commun de la souveraineté qui permettait d’étendre le contrôle au-delà des frontières de l'État. Cela implique néanmoins des contraintes et oblige à respecter traités et conventions. Ces obligations sont un passage nécessaire pour permettre de préserver les conditions de vie de ses citoyens. Néanmoins, si cet objectif est entravé, des tentatives de « reprendre le contrôle » peuvent resurgir. Le concept de démocratie libérale est en effet très exigeant : la réduction du rôle de l’État comme régulateur économique et comme rempart à l’augmentation des inégalités économiques peut vite faire de ce concept un oxymore, avec une tension croissante entre libéralisme et démocratie.

La crise de la Covid-19 a bouleversé et accéléré l’agenda européen de transformation structurelle. L’Union européenne s’est dotée d’un instrument puissant pour accompagner cette transformation et les plans de relance nationaux qui devraient être finalisés au cours du premier trimestre 2021 en seront la déclinaison nationale. Cette transformation engendrera des ruptures (redistribution sectorielle de la valeur ajoutée et de l’emploi, modification des tendances de productivité et de compétitivité, impact sur la population active, sur la distribution des revenus et sur le partage profits/revenus du travail). Les pays seront plus ou moins bien positionnés pour aborder ces changements en fonction de leurs spécificités structurelles (spécialisation, compétitivité, insertion dans les chaînes globales et européennes de la valeur, qualification de la main-d’œuvre). Les politiques d’accompagnement et les modifications de la gouvernance joueront un rôle-clé dans leur réussite. La capacité des pays à intégrer les nouvelles filières européennes, à s’approprier le saut technologique et à produire la meilleure gouvernance pour gérer cette « énorme » dépense publique tout en embarquant le secteur privé forgera la hiérarchie de la sortie de crise. La capacité des États à accompagner cette transition et à limiter le nombre des perdants de la transformation sera un facteur clé pour leur légitimité ainsi que pour celle des institutions européennes.

 

Paola Monperrus-Veroni

paola.monperrus-veroni@credit-agricole-sa.fr

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