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CHINE – Rétablir le contrat de confiance

C’est masqués que les députés se sont présentés à la session annuelle du Parlement chinois en fin de semaine dernière. L’enjeu était de taille : il s’agissait pour Pékin d’annoncer la victoire de la Chine sur l’épidémie et de poser les fondements de « l’après ». Il fallait surtout renvoyer l’image d’une Chine debout et unie face aux doutes émis par le reste du monde sur sa transparence de la gestion sanitaire. Et si le reste du monde n’est peut-être pas convaincu, l’exercice de communication était surtout interne. En somme, il s’agissait de rétablir le contrat de confiance, le pacte social et de rassurer la population sur la capacité du régime à garantir l’élévation des conditions de vie pour tous. 

Chine

Si le Premier ministre, Li Keqiang, ne s’est finalement pas risqué à annoncer une nouvelle cible de croissance pour 2020 – pour rappel, la cible d’origine était fixée autour de 5,6 %, de manière à assurer le doublement du PIB entre 2010 et 2020 - il a insisté sur les indicateurs sociaux. Pauvreté, chômage urbain, création d’emplois, le régime sait que la crise sanitaire a profondément ébranlé le marché du travail, terreau bien connu des risques politiques. Les ambitions fixées paraissent cependant bien timides en comparaison du choc subi : l’objectif de création de 9 millions d’emplois suffira tout juste pour absorber les nouveaux diplômés, mais ne tient pas compte de tous les emplois détruits au premier trimestre. Pourtant, le soutien à la consommation intérieure, passant donc par l’emploi, est au cœur de la stratégie de croissance chinoise.

Le risque est sinon de déséquilibrer durablement le modèle de croissance en faveur de l’offre, qui ne pourra cette fois pas compter autant que d’habitude sur un effet d’entraînement extérieur. Bien sûr, la Chine pourra se féliciter d’être un des seuls pays capables d’afficher une croissance positive en 2020, mais la crise révèle comme dans la plupart des autres pays certaines fragilités structurelles.

 

Le déséquilibre offre/demande s’accentue

En avril, le rétablissement de l’offre s’est confirmé : la production industrielle a rebondi (+3,9 % sur un an), et la Chine s’est même offert le luxe de voir ses exportations croître (+3,5 % sur un an), notamment grâce aux équipements électroniques. Force est donc de constater que, sur ce terrain en tout cas, le pays fait pour l’instant mentir les conjoncturistes qui anticipaient une contraction des exportations en avril. Pour l’offre  donc, le pari est réussi : après deux mois de baisses historiques, la machine a été relancée grâce aux mesures de soutien traditionnelles.

Du côté de la demande, on pourrait penser que le stimulus est également là. Ainsi, en avril, le financement de l’économie privée (que l’on nomme en Chine « total social financing ») a encore légèrement progressé (+12 %, contre +11,5 % en mars sur un an), porté par les prêts à long terme aux ménages et aux entreprises et par les émissions obligataires du secteur privé. Il atteint son plus haut niveau depuis deux ans.

Dans son dernier communiqué, la Banque centrale chinoise (PBoC) a également laissé entendre qu’un nouvel assouplissement monétaire se préparait et que ce dernier pourrait consister non seulement en une nouvelle baisse des différents taux (directeurs et de réserves obligatoires) mais aussi en un programme inédit d’achats de titres, ce que la PBoC se refusait jusque-là à faire.

Et pourtant, la demande ne suit pas et cela se lit dans les indicateurs de prix et d’activité. En avril, les ventes au détail sont restées en territoire très négatif (-7,5 % sur un an). Les achats de biens d’équipement et de voitures progressent légèrement, dopés par des politiques publiques mises en place par les provinces (primes et bons de consommation), mais le secteur des services (transports, restauration, tourisme) demeure très loin de son niveau habituel.

Idem pour l’investissement dans le secteur privé qui ne parvient toujours pas à se redresser. Comme si cette crise faisait ressortir le dualisme de l’économie chinoise : planifiée du côté de l’offre, que l’on fait repartir à marche forcée si nécessaire, avec la certitude que la loi de Say, selon laquelle l’offre crée sa propre demande, fonctionnera une fois encore. Mais, en face, côté économie de marché, incarnée par le secteur des services des agglomérations urbaines, c’est la vision keynésienne qui prime et affirme que l’économie ne pourra repartir sans demande.

Entre ces deux théories un peu datées, mais qui trouvent une nouvelle résonance, le problème de la confiance. Celle que les agents placent dans leur système économique, qui détermine leurs anticipations, mais aussi leurs comportements d’arbitrage entre consommation et épargne. On est là au cœur du paradoxe et du problème chinois.

 

Éviter à tout prix le piège de la déflation

Une production industrielle qui repart, mais des prix à la production qui reculent. Des exportations qui redémarrent, mais des importations qui plongent. Des ventes au détail qui continuent de se contracter et une inflation qui reste positive uniquement grâce aux prix alimentaires, très volatils…

Et derrière ces grands agrégats, une situation qui risque de se tendre sur le marché de l’emploi, déjà déserté par une partie des travailleurs migrants dont les emplois précaires dans le secteur tertiaire ont été détruits. Un tiers d’entre eux n’ont toujours pas rejoint leur ancien lieu de travail. Comme si, cette fois-ci, la puissance du régime n’était pas suffisante pour contraindre les choix des agents économiques et leur insuffler la confiance nécessaire pour qu’ils fassent le choix de la consommation.

Bien sûr, la Chine donne le change. Après tout, ce fort recul des importations permet de renforcer un peu plus les excédents et donc les réserves chinoises. C’est un atout économique considérable dans une période où la liquidité se paie de plus en plus cher. Et c’est aussi un facteur de puissance géopolitique, car ces excédents financent en partie les déficits américains.

Mais derrière ce déséquilibre offre/demande se cache en réalité un danger pour cette économie : celui de la déflation. Elle est dangereuse, car synonyme de destruction de capital, dans un pays où l’investissement occupe toujours une place prépondérante (plus de 40% du PIB). La déflation se traduit immédiatement par une hausse des taux d’intérêt réels et bloque l’investissement, ce qui serait très compliqué pour l’économie chinoise. Elle est dangereuse, car l’exemple japonais prouve qu’il est difficile de sortir de ces situations de trappe à liquidités.

Pour éviter ce piège, la Chine devra peut-être abandonner quelques réflexes d’économie administrée et cibler des catégories d’acteurs qu’elle n’a pas l’habitude d’aider, en particulier tout ce secteur des services qui s’est développé en dehors des modèles de planification. La démonstration de communication orchestrée ces derniers jours ne présage cependant pas d’un changement en profondeur du modèle. Les annonces faites s’inscrivent en effet dans les mesures de relance traditionnelles : soutien aux investissements dans les infrastructures et les nouvelles technologies via des émissions obligataires et ouverture des vannes du crédit.

En ajoutant un soupçon de risque politique, réactivé par le retour des manifestations hongkongaises, on retrouve la Chine telle qu’on l’avait laissée il y a cinq mois. A la différence près – et elle est de taille - que le monde autour d’elle change, se polarise et cherche, comme dans toute crise, des boucs émissaires. Mais même attaquée, la Chine résiste et campe sur ses positions et ses chiffres. Preuve qu’il en va des tensions géopolitiques comme des crises sanitaires, et que partout dans le monde les masques ne sont pas prêts de tomber.

 

Sophie Wieviorka - sophie.wieviorka@credit-agricole-sa.fr

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