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La guerre met fin à trois décennies d’apparente déconnexion entre le risque géopolitique et le scénario macroéconomique, du moins selon l’interprétation de la plupart des économistes. Cela a des conséquences profondes sur le scénario mais aussi sur les politiques et les institutions européennes.

L’ère de l’économie de marché et de la primauté du cycle économique

Depuis la réunification allemande, le lancement de l’Union économique et monétaire et la sortie des crises des devises de 1992 et 1995, l’économie européenne a vécu dans une bulle. Cette bulle a été créée par la phase de convergence des conditions de financement et des revenus en Europe dans le contexte de la « grande modération » et a retardé pendant des années la perception des effets des chocs géopolitiques qui, pourtant, se sont produits au cours des décennies, mais qui ont été interprétés comme des risques affectant temporairement le cycle dans une modalité « risk-on risk-off » sans affecter la trajectoire de croissance de long terme. 

La globalisation heureuse semblait apporter son lot de prospérité et de stabilité et demandait seulement la bonne adaptation au modèle d’« économie sociale de marché » instauré par le Traité de Lisbonne comme l’un des objectifs principaux de l’Union européenne (UE). L’UE, partant du projet initial fortement géopolitique de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), s’est ensuite affirmée comme un modèle de règle de droit assurant, d’un côté, la protection des droits fondamentaux et, de l’autre, la défense de la libre concurrence dans le marché unique, avec un espace restreint laissé aux politiques publiques. Ce modèle a comme principes fondateurs un système des prix fonctionnant parfaitement, des marchés ouverts, le respect de la propriété privée, la liberté et la responsabilité contractuelle, la primauté de la politique monétaire et la stabilité des politiques économiques. Les principes régulateurs pour remédier aux anomalies de l’offre : limitation des monopoles, des concentrations et des rentes et correction des externalités négatives étaient prévus mais ont été opérationnalisés à des degrés différents. 

Pourtant, déjà, la grande crise économique et financière de 2008 révélait l’existence d’un supercycle (géo)politique, dont les symptômes étaient la fragilisation d’un hégémon américain qui n’était plus capable de tirer pleinement profit de l’ordre global qu’il avait contribué à créer et qui ne pouvait plus répondre à la promesse de prospérité pour tous avec une fabrique sociale minée par le creusement des inégalités. Mais elle a majoritairement été interprétée, dans une logique purement cyclique, comme une simple crise d’accumulation, largement imputable à un défaut de régulation ou de supervision. Elle a pourtant mis en évidence que, même en Europe, la promesse de prospérité avait ses failles, avec un arrêt du processus de convergence réelle, une plus forte polarisation des emplois et des revenus avec la difficulté à préserver le contrat social forgé dans l’après-guerre. Autrement dit, le continent n’était pas isolé des mouvements tectoniques qui secouaient le monde. 

L’arrivée au pouvoir de D. Trump a certes fait prendre conscience que l’ordre mondial pouvait vite être remis en question par un retrait des instances de gouvernance multilatérales du commerce, voire de la défense. Mais là encore, la plupart des économistes ont eu tendance à voir le problème par le « petit bout de la lorgnette » et à se focaliser sur le coût des barrières tarifaires sans tirer les vraies conclusions de ces bouleversements profonds. Il a fallu attendre la nouvelle Commission européenne pour tirer les vraies leçons et commencer à discuter d’autonomie stratégique et à dessiner une nouvelle frontière technologique pour l’UE, celle de l’économie verte. Mais la définition de ces nouvelles priorités ont été une nouvelle fois abordées selon l’approche habituelle de l’exercice du pouvoir normatif de l’UE, qui de par la taille de son marché devait s’imposer ailleurs. 

Le temps de l’économie de crise et le retour de la régulation

C’était sans doute naïf de ne pas prendre en compte le fait que l’exercice du pouvoir par les systèmes autocratiques concurrents pouvait s’armer du bras long de l’État. Le vrai réveil européen a été celui de l’Allemagne, qui s’est vu menacé par l’achat de ses fleurons technologiques par des Chinois et a convaincu l’Union d’apporter une première modification à la logique de marché ouvert autorégulé en instituant une politique de supervision des IDE.

La prise de conscience s’est accélérée avec la crise de la Covid puisque l’Europe a finalement accepté de s’armer d’une politique puissante d’investissement public et a consenti à de premières modifications des éléments régulateurs de l’économie sociale de marché :

  • Le rôle assurantiel ultime de l’État s’est imposé ainsi que la plus forte activité stabilisatrice de la politique budgétaire.
  • L’assouplissement temporaire du cadre règlementaire est devenu nécessaire : politique de la concurrence (aides d’État), politique budgétaire (Pacte de stabilité et de croissance), politiques macro et micro-prudentielles, flexibilité dans la politique monétaire
     

Une économie de crise qui vient donc modifier, sinon les éléments fondateurs de l’économie sociale de marché, du moins ses éléments régulateurs. Et cela a un impact sur l’amplitude du cycle, sur la capacité de rebond et de résilience, sur le degré de persistance du choc et son impact sur la croissance potentielle, sur l’interaction entre politiques budgétaire et monétaire affectant donc tous les facteurs qui déterminent un scénario macroéconomique.

L’économie de guerre et le repositionnement stratégique

Aujourd’hui, l’économie européenne va devoir passer au stade suivant : de l’économie de crise à l’économie de guerre. Il faudra être attentifs à ce que cela implique. Bien sûr, il y a la quantification des coûts liés aux sanctions, l’impact de l’inflation, les ruptures dans les chaînes de valeur, mais il ne faudra pas oublier les modifications plus profondes et durables que cela implique. Un rôle de l’État va encore se renforcer (à tous les niveaux, national et européen) dans la redéfinition de l’équilibre général des ressources et des emplois de l’économie, avec des changements majeurs dans les stratégies d’approvisionnement et éventuellement à court terme des politiques de fixation des prix, voire de rationnement C’est un tournant dans nos économies sociales de marché même si ces facteurs de régulation sont prévus en cas de dysfonctionnement de l’offre. Cela préfigure aussi un rôle accru de la dépense publique, à court-moyen terme pour protéger dans l’immédiat le pouvoir d’achat des ménages, notamment les plus fragiles, mais aussi pour soutenir et réorienter les investissements vers des secteurs stratégiques, notamment la défense. Des arbitrages vont s’avérer nécessaires, puisque tout l’effort ne peut être porté par les générations futures via une nouvelle augmentation de l’endettement. Les arbitrages se feront entre typologies de dépenses mais davantage encore entre agents économiques pour le partage des coûts de ces politiques.

L’État se déploie au niveau national mais aussi au niveau européen. La notion d’autonomie stratégique se renforce. La politique énergétique de l’Union et la politique européenne de défense sortent de leur stade embryonnaire. Ce renforcement devra se faire avec une mise en cohérence des politiques industrielles, commerciales et de la concurrence afin de servir, sans entraves, les objectifs stratégiques avec au cœur également la question du financement : par la dette ou par des ressources propres supplémentaires de l’Union. 

Finalement, il ne s’agit pas de la remise en cause du statut d’économie de marché ouverte, mais d’un redéploiement d’anciens et la création de nouveaux instruments de politique économique dédiés à l’atteinte de nouveaux objectifs stratégiques.

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