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La retraite de Vladimir Poutine, encore un régime spécial

Quoi que l’on pense de lui, Vladimir Poutine a cette capacité rare à créer la surprise stratégique. Pour cela, dit Clausewitz, il faut œuvrer dans la discrétion et agir avec vitesse. Or, la semaine dernière, le président russe a fait plus bouger politiquement son pays en deux heures qu’en vingt ans ! Ainsi, après 80 minutes de discours, il annonce une liste de réformes constitutionnelles, réduisant (légèrement) les pouvoirs du président, limitant à deux le nombre de mandats, et augmentant (légèrement) les pouvoirs de contrôle de la Douma, la Chambre basse du Parlement de Russie, sur cette même présidence. Trois heures plus tard, le gouvernement démissionne, suivi par la nomination d’un quasi inconnu du public russe et encore plus du monde, le responsable du service des taxes en Russie, dont on sait surtout qu’il joue au hockey sur glace avec Vladimir. Alors, où va la Russie ?
Deux questions nous semblent centrales et vont le rester dans les mois à venir : s’agit-il d’un simple changement de constitution ou d’un changement de régime ? Quelles sont désormais les places pour Vladimir Poutine dans le nouvel équilibre qui va se dessiner ?

Comment faire évoluer sans rupture un régime d’homme fort ?

La première remarque, qui n’est pas neutre, c’est que la transition présidentielle en 2024 est enfin ouverte, et que V. Poutine semble pour l’instant contrôler l’exercice. En effet, la surprise ne vient pas du départ de Medvedev, car on en parle depuis dix ans. C’est la façon dont la partie est lancée, qui est une surprise. D’abord, avec le timing, qui a surpris le monde entier. Mais, surtout, parce que le président est entré de plain-pied dans le sujet, et très rapidement, tout en maîtrisant l’agenda, ce qui est un gros avantage en politique ! Par ailleurs, le démarrage de la partie s’est fait sans affolement des marchés, ce qui est aussi un élément de réussite pour le pouvoir.
La seconde remarque, c’est qu’il n’y a pas eu de consultation publique en Russie depuis 1993. Pourquoi se lancer dans une transition politique qui s’appuie sur un changement constitutionnel et un éventuel référendum, à l’heure où ce genre d’outils, après le Brexit, fait de plus en plus peur aux démocraties ?

Pour comprendre ce choix, il faut avoir à l’esprit à la fois le contexte politique actuel de la Russie, mais aussi, à plus long terme, le contrat social qui relie le peuple russe au pouvoir, et enfin, la nature hybride d’un régime, qualifié de « semi-autoritaire » ou de « démocratie illibérale » – à savoir des systèmes possédant à la fois des traits d’autocratie et de démocratie. De plus en plus nombreux dans le monde, ils ne doivent pas être assimilés à des systèmes autoritaires coupés de toute légitimité politique, car la question du contrat social entre l’homme fort au pouvoir et la population reste importante, d’autant plus que nous vivons tous à l’heure des réseaux sociaux, qui peuvent activer très vite les sensibilités politiques, quels que soient les régimes…

Néanmoins, ces systèmes politiques hybrides sont aussi des régimes par nature instables, car ils tiennent justement à la personnalité de cet homme fort. Et ils deviennent particulièrement instables dans les périodes de succession. Or, c’est peut-être le premier objectif de cette réforme : V. Poutine se sachant, quoi qu’il en soit, sur le déclin, et visiblement habité depuis toujours par la question de la puissance russe, veut sans doute stabiliser le régime et les institutions, au-delà de sa personne.

 

Jouer un gambit au bon moment

Mais le contexte joue aussi. Ainsi, les sondages du centre Levada (l’un des plus sérieux, ancien et indépendant en matière de recherche sociologique) indiquent un taux de popularité du président revenu à 70 % en octobre, après un point bas en mars à 64 % (contre 88 % en 2014). Une popularité certes élevée, mais un peu fragilisée depuis deux ans par des manifestations qui se sont élargies à son propre électorat, à cause d’une réforme des retraites (tiens, tiens…).
Contestation croissante dans les rues, mais aussi lassitude vis-à-vis de V. Poutine, au pouvoir depuis 1999. Enfin, ajoutons à cela un rejet du gouvernement, rendu responsable de la stagnation de la croissance et de la paupérisation de la classe moyenne (après un cycle de très fort enrichissement entre 2000 et 2007). Ainsi, le taux de confiance est de 65 % pour les gouverneurs régionaux, 44% pour le gouvernement, 40% pour la Douma… et 39 % pour Medvedev.

Il était donc temps pour Vladimir de prendre des décisions, d’autant que les élections à la Douma auront lieu à l’automne 2021. Autrement dit, il était temps d’activer le « gambit Medvedev » tout en préservant le contrat social qu’il a su tisser avec la population russe, prolongation étrange d’une légitimité de nature à la fois « soviétique et tsariste », activée par une transition trop douloureuse pour la population (période de forte insécurité).

 

La petite histoire de la popularité de V. Poutine

Aujourd’hui, quelle est la nature du lien entre V. Poutine et les Russes ? 8% d’entre eux déclarent l’admirer, 24 % ressentir une affinité (contre 41 % en 2008 – on mesure les effets de la chute de croissance de 2009…), et 30 % déclarent ne rien en penser de mal. On ajoute à cela 15 % de neutres. Poutine est donc apprécié, mais pas adoré, comme le pensent certains de ses aficionados de l’Ouest. Pour autant, cette popularité est solide, et selon les mêmes sources, seulement 10% des Russes seraient « fermement » opposés à son action. Au fond, c’est assez peu, après plus de vingt ans au pouvoir.

Sur quoi repose cette popularité ? Aujourd’hui, sur une garantie de stabilité. Mais, avant 2009, sur la progression du PIB par habitant. Ainsi, depuis 2013, la légitimité du président a évolué, et il est à présent, à lui tout seul, devenu une promesse de sécurité et d’intégrité territoriale pour la plupart des Russes. Dit autrement : la légitimité de V. Poutine est bien connue par les sociologues, de nature « royale » (le corps du roi incarne le pays). Mais, cela impose aussi une relation proche avec le peuple, souvent de nature plébiscitaire (on songe à Napoléon III en France).

Enfin, cette légitimité a rencontré les préférences russes en matière de droits fondamentaux : dans les sondages, du même centre Levada, les questions de sécurité personnelle, mais aussi de protection médicale, et d’accès à l’éducation arrivent bien avant la liberté de parole ou d’accès à l’information.

Enfin, dernier élément de contexte : Vladimir Poutine tente aussi de répondre au mécontentement en annonçant un grand programme de soutien des familles les plus déshéritées avec enfants. Et il fait d’une pierre deux coups, puisque ces mesures visent aussi à prolonger le programme d’aide à la fertilité. Or, justement, le ralentissement de la croissance potentielle russe (aujourd’hui de l’ordre de 1 à 1,5 %), est pour partie lié à la démographie. Quant à l’objectif de vouloir remonter la part de l’investissement dans le PIB à 25 % en 2024, pour sortir d’un schéma de croissance trop axée sur la consommation, c’est également la solidité de la croissance à long terme qui est visée. C’est plutôt une bonne nouvelle pour les investisseurs.

 

Quid des scénarios de pouvoir ?

Premier constat : Poutine a fait mentir beaucoup d’analystes, qui s’attendaient à ce que le Premier ministre remplaçant Medvedev apparaisse comme son successeur. Ce n’est pas le cas, car M. Mishustin n’a pas, à ce jour, d’épaisseur politique (mais V. Poutine était également inconnu…).

Deuxième constat : le processus qui est lancé achète du temps à V. Poutine, si d’aventure, il était en recherche d’un vrai successeur, c’est-à-dire d’un homme capable d’incarner le même type de légitimité.

Le plus probable, à ce jour, est cependant la mise en place d’une gouvernance en tandem, ou même en triangle, V. Poutine restant à la tête d’un Conseil d’État qui prendrait plus d’importance dans les sujets de société et de géopolitique, les affaires courantes étant laissées à la présidence, voire à la Douma. Par ailleurs, sera exclu de l’élection présidentielle, tout individu n’ayant pas vécu en Russie dans les 25 dernières années : exit, donc, la possibilité d’un opposant de l’extérieur.

 

Attention au plébiscite

En conclusion, le pouvoir russe semble attaché à cette forme hybride de « démocratie illibérale », excluant toute évolution du régime vers une présidence à vie comme en Chine. De plus, V. Poutine a bel et bien donné des signaux de sa volonté de maintenir une position de pouvoir (en s’appuyant sans doute sur les gouverneurs régionaux et sur le Parti Russie unie), mais probablement pas de gouverner en direct. Cela reste à préciser. Enfin, les relations du gouvernement et de l’Assemblée sont en voie de rééquilibrage.

Il reste bien sûr beaucoup d’incertitudes. D’une part, le soutien social ne servira pas à grand-chose, à long terme, si la croissance est faible, ce qui nourrirait la grogne politique. D’autre part, la tenue d’une consultation populaire n’est jamais simple, même dans un pays classé comme « semi-autoritaire ». Il y a là une forme de prise de risques, encore plus si cela vire à un exercice plébiscitaire, dans lequel l’enjeu ne serait pas seulement le résultat, mais aussi le taux de participation, voire le respect des votes. Il est donc possible que ce référendum ait lieu très vite, voire qu’il y ait des élections anticipées.

Enfin, il est surtout probable que le pouvoir russe continue à faire de la sécurité du pays une priorité, dans un contexte géopolitique troublé. Et rien que cela, au bout du compte, joue dans le sens d’un resserrement autour de la figure de Vladimir Poutine.

 

Tania Sollogoub - tania.sollogoub@credit-agricole-sa.fr

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