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L’argent est souvent le nerf de la guerre, et surtout quand il vient à manquer ! En effet, aussi bien la Pologne que la Hongrie souffrent d’une montée des taux d’inflation qui ont dépassé les 20% annuels certains mois et dont la normalisation n’interviendra pas dans un horizon très proche.

La forte dépendance aux importations énergétiques, dans le contexte actuel des prix de l’énergie, alimente une forte hausse des prix alimentaires et de production qui se répercutent à leur tour dans les prix à la consommation. L’Europe de l’Est est l’une des zones où l’inflation « core » augmente le plus vite. À cela s’ajoutent les effets d’une lutte contre la hausse des prix par les banques centrales. Le taux directeur hongrois a atteint 13% et celui de la Pologne 6,75%, une variation qui se répercute très rapidement sur les ménages à travers les crédits – aussi bien sur les nouveaux que sur les existants, puisqu’ils sont en majorité à taux variables dans la zone. La consommation des ménages de l’Europe de l’Est se retrouve donc très contrainte par l’ensemble de ces facteurs, et c’est l’un des points fragiles de la croissance.

Les perspectives sont d’autant moins réjouissantes que les principaux partenaires commerciaux de la Pologne et de la Hongrie, les pays de l’Union européenne, se retrouvent dans ces mêmes conditions de contraction de l’activité qui se traduira par une baisse de leurs importations. Ceci sans évoquer les risques de pénuries d’approvisionnements énergétiques, de matières premières ou d’autres ruptures de chaînes du commerce mondial qui pourraient complexifier encore plus les contraintes de production, auxquelles sont directement exposés les pays d’Europe centrale, très intégrés dans ces chaînes de valeur. Les effets de proximité commerciale, qui fragilisent la demande, se cumulent donc aux effets de structure de production, qui gênent l’offre. 

Enfin, la montée des tensions, à la fois sur le front de la guerre en Ukraine mais aussi sur les évolutions géopolitiques mondiales, renforce le climat d’incertitude. Les marchés sont donc vigilants et n’hésitent pas à différencier chaque région en fonction des situations politiques : la prime de risque géopolitique et politique devient donc très apparente sur les taux de change de la région. Par exemple, le forint hongrois s’est déprécié de 16% depuis le début de l’année, ce qui est bien plus que pour les autres devises de la région. Les marchés sanctionnent la singularité de la politique hongroise au sein de l’Union européenne.  

Les gouvernements hongrois et polonais mènent en effet des réformes institutionnelles qui s’accumulent respectivement depuis 2010 et 2015, afin de mieux contrôler les systèmes judiciaires et les médias, et concentrer de plus en plus le pouvoir à travers la fabrication de discours de peurs et de menaces, imaginaires ou non. Ce narratif a servi à la fois au resserrement des libertés individuelles, à un certain verrouillage de la parole publique, et à la polarisation des opinions publiques dans les deux pays. La dérive de l’État de droit s’est donc construite depuis plus d’une décennie pour la Hongrie et plus récemment pour la Pologne : c’est une modification longue et profonde du profil institutionnel de ces pays. 

Ce processus a globalement fonctionné grâce à une progression permanente des niveaux de vie et à une politique de redistribution assez généreuse qui a satisfait notamment l’électorat rural. Il faut reconnaître que cela a permis de réduire l’écartement des inégalités sociales produites par le processus de transition économique après la chute des systèmes communistes, et renforcées par les effets sociaux de la crise de 2009, qui ont été particulièrement sensibles dans la région. Sur le plan européen, toute cette dérive s’est déroulée sous les yeux de l’Union européenne qui a néanmoins soutenu financièrement les partis au pouvoir aussi bien en Pologne qu’en Hongrie.  

Aujourd’hui, ce paradoxe de la position européenne semble toucher ses limites, et le moment de l’épreuve a sonné pour les deux pays. Les événements comme la guerre, encore loin des champs de vision des dirigeants, ou bien les difficultés économiques qui en découlent, alertent désormais quant à la stabilité des gouvernements et à leurs capacités à entretenir leurs modèles socio-économiques. Basées sur la générosité avec les plus démunis et la prospérité pour les plus aisés, les politiques budgétaires ont besoin de financements additionnels. Elles en ont toujours eu besoin, mais auparavant les taux de croissance du PIB permettaient des rentrées fiscales. D’autre part, les fonds européens assuraient une grande partie des investissements publics tout en stimulant l’investissement privé. En quelque sorte, les gouvernements i-libéraux, comme celui de la Hongrie de V. Orban, avaient carte blanche pour bâtir une idéologie basée sur une forte critique des valeurs de l’Union européenne et une concentration du pouvoir autour du Premier ministre tout en bénéficiant des fonds d’aide. À mesure que cette « schizophrénie » s’est développée, ils ont fini par scier la branche sur laquelle ils étaient assis. 

Les institutions européennes ont fini par comprendre l’ampleur des dégâts causés. L’instauration, donc, du mécanisme de respect de l’État de droit comme conditionnalité pour bénéficier des fonds de relance européens est devenue une nécessité. Maintenant que ni la Pologne ni la Hongrie n’ont pu passer leur « examen », les gouvernements se retrouvent en difficulté pour assurer le contrat social vis-à-vis de leurs électorats. 

Depuis quelques semaines, la Hongrie passe des textes de lois en nombre pour lutter contre la corruption. En Pologne également, les juges devraient retrouver leur indépendance après une longue période de surveillance rapprochée par la chambre disciplinaire. Ce revirement pour être éligibles à l’enveloppe (23 milliards d’euros pour la Pologne et 6,3 milliards d’euros pour la Hongrie).

Les deux gouvernements s’estiment très satisfaits des réalisations et en bonne voie pour obtenir le déblocage des fonds tant attendus, mais l’Europe se doit de bien mesurer ce que peuvent valoir ces lois bien vite passées au regard d’une dérive institutionnelle de long terme. 

Certes, la démarche européenne souhaite garantir un certain niveau de démocratie et elle contribue en ce sens ; mais, actuellement, en dehors de la « carotte financière », elle dispose de très peu de marges juridiques pour garantir aux citoyens européens un niveau infranchissable de valeurs démocratiques.

En somme, l’Union européenne paie pour obtenir le respect de la règle de droit mais pour combien de temps ?

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