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Le conflit russo-ukrainien et la crise énergétique désordonnée qu’il a occasionnée imposent à la zone euro un choc structurel de compétitivité : un choc immédiat, mais aussi durable, et doublement asymétrique. Il affecte en effet, par nature, davantage l’Europe que les autres économies avancées, mais affecte aussi de façon différenciée les pays européens. L’évaluation de ce choc intègre, en premier lieu, le renchérissement des importations d’énergie en 2022 par rapport à l’année 2021, un surcoût en partie déjà acquitté.

En cohérence avec l’hypothèse d’un conflit long, l’appréciation du choc intègre également un approvisionnement limité en gaz russe (se stabilisant aux niveaux observés en juillet dernier) et un prix du gaz durablement supérieur à 200 euros par mégawatt/heure (MWh). Ce coût peut ainsi, grossièrement, être estimé à 6 points de PIB en 2022 et à 3 points de PIB supplémentaires en 2023. L’impact sur l’économie de la zone euro s’est déjà déployé, comme en témoignent les révisions successives à la baisse de nos prévisions de croissance depuis le mois de mars. Le niveau attendu du PIB de la zone euro à la fin de 2023 est de 3,2% inférieur au niveau prévu dans notre scénario de décembre 2021, avant l’invasion de l’Ukraine.

Un tournant inédit à l’été 2022

L’économie de la zone euro a pris un tournant au milieu de l’année. Le premier semestre a connu une croissance soutenue bénéficiant du rebond post-Omicron et profitant d’une forte consommation dans les services, d’un pouvoir d’achat soutenu par des revenus du travail dynamiques et des mesures publiques d’atténuation de la hausse des prix. L’acquis de croissance pour 2022 est de 3,2% à la fin du premier semestre : cela justifie la révision à la hausse de notre prévision de croissance pour 2022 de 2,5% (juillet 2022) à 3,2%. 

Mais, la zone euro a expérimenté cet été la matérialisation d’une offre bien plus limitée de gaz russe, la forte accélération des prix et la diffusion progressive de l’inflation « énergétique » aux autres composantes de l’indice des prix. Un enchaînement malheureux, source de préoccupation croissante des banques centrales : il ne s’agit plus seulement de l’inflation courante, mais aussi des risques de modification des mécanismes de fixation des prix et des salaires et de désancrage des anticipations d’inflation. Leur action plus agressive sur les taux, combinée à une inflation plus élevée, va contribuer à la fin prématurée de la phase d’expansion post-Covid. 

La principale inquiétude se déplace de l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages aux risques sur la profitabilité des entreprises, mais aussi sur leurs contraintes opérationnelles, confrontées à une offre plus limitée d’énergie, des coûts en hausse et des conditions financières moins accommodantes. Notre scénario de croissance pour 2023 est ainsi révisé de 1,1% à 0,4%.

Octobre rouge

La perte de dynamisme en cours dans la zone euro est brutale, comme en témoignent les enquêtes plus récentes du mois de septembre, notamment dans le secteur manufacturier où les branches les plus consommatrices d’énergie ont déjà enregistré un recul de leur activité.

Si, au troisième trimestre 2022, la croissance est encore soutenue par l’activité dans les services et le tourisme, le quatrième trimestre devrait en revanche être marqué par un recul du PIB susceptible de se poursuivre au premier trimestre 2023. Avec deux trimestres de récession modérée au tournant de l’année, notre prévision peut s’apparenter à un atterrissage en relative douceur de l’économie de la zone euro : il ne faut cependant pas négliger que le rythme annuel de progression du PIB passe de 5,4% début 2022 à  0,1% à la mi-2023. 

Nous avons « relégué » le scénario d’atterrissage plus brutal à un scénario adverse. L’économie de la zone euro peut, en effet, encore s’appuyer sur des créations d’emplois vives, une croissance robuste des revenus du travail et les bilans solides des agents privés. Les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs et le recours au chômage partiel dans les activités plus touchées par la hausse des coûts ou le rationnement constitueront un frein à la montée du taux de chômage. 

Dans notre scénario central, les efforts de diversification de l’offre de gaz ainsi que la réduction volontaire de la consommation permettent d’éviter un rationnement obligatoire plus contraignant. Cette réduction est opérée par le jeu des forces du marché : soit par des enchères entre entreprises consommatrices (comme prévu dans les plans d’urgence de certains pays), soit par des interruptions « volontaires » d’activités insuffisamment rentables en raison de la remontée des coûts. 

Dessiner un scénario de récession, mais qui reste très modérée, ne requiert pas de recourir à une pensée magique. Si les entreprises devaient faire face à de fortes pressions sur les marges doublées d’un affaiblissement de la demande domestique et étrangère, cette moindre sollicitation de l’offre permettrait de desserrer les contraintes sur les chaînes de valeur. À brève échéance, l’incertitude sur l’état de l’offre tend à déprimer la demande. La récession peut et va se révéler comme un acteur désinflationniste assez fiable. La remontée des prix du gaz pourrait en effet avoir un impact bidirectionnel sur l’inflation : elle se diffuse de façon plus persistante le long des chaînes de valeur, affectant le prix des autres biens et services, mais elle ampute la demande et finit par réduire les tensions sur les prix. C’est sur la prépondérance de ce second effet que table notre scénario qui retient une baisse de l’inflation en 2023 (à 6,7%, après 8,3% en 2022), malgré un prix du gaz plus élevé en moyenne annuelle (220 €/MWh).

Une lente digestion du choc

Seule une partie du choc de compétitivité va être immédiatement visible et se traduire par un taux de croissance plus faible. Le « solde » sera progressivement absorbé, suscitant une dégradation de la situation économique et financière des agents économiques et de la position extérieure de la zone. Cela fait peser une hypothèque lourde sur la capacité de l’économie à retrouver rapidement le rythme tendanciel soutenu qui se dessinait avant la guerre. L’impact sur la consommation des ménages se fera sentir plus fortement sur les dépenses en biens durables, la consommation de services pouvant s’appuyer sur les dépenses des ménages plus aisés qui disposent encore d’un important excès d’épargne. Quant à l’investissement, il peut encore reposer sur le relais qu’offrent les plans nationaux et européens dans les transitions énergétique et digitale.

La fin de la divine coïncidence 

Le rôle des politiques publiques sera d’organiser la réponse à ce choc de compétitivité en se souciant d’éviter une dégradation excessive de la situation de certains acteurs afin de ne pas amplifier le choc initial. Mission d’autant plus ardue que la divine coïncidence des politiques budgétaires et monétaires, poursuivant des objectifs concordants de stabilisation de l’activité et des prix, a pris fin. La Banque centrale européenne vise désormais directement l’affaiblissement de l’activité, afin de contrer les tensions inflationnistes sur les services et les biens non énergétiques. Face à une réaction structurellement plus faible des prix à la baisse de l’activité, le sacrifice en termes de croissance risque d’être plus élevé. La politique de régulation peut jouer un rôle pour compléter efficacement le policy-mix et rendre moins aigu le dilemme pour la BCE.

L’échelon européen de la politique économique a un rôle de plus en plus important à jouer, puisque le marché de l’énergie, désormais très fragmenté, renforce l’impact du choc à la fois sur le PIB et sur l’inflation. La solidarité entre pays est de plus en plus nécessaire : nécessaire dans le partage des capacités d’offre (sans laquelle l’hypothèse de non-rationnement devient caduque), mais aussi dans le partage des coûts et la redistribution des rentes tirées de la situation de pénurie.

Un scénario adverse à portée de main

Les contours d’un scénario adverse ne sont pas difficiles à tracer : on déplace seulement un peu les hypothèses « énergétiques ». Peuvent y concourir de conserve : une rupture totale d’approvisionnement en gaz russe fort probable dans un contexte d’offre de GNL insuffisante et très chère, des difficultés plus durables de l’industrie nucléaire française, des tensions sur la demande et le prix du gaz renforcées avec des répercussions sur les prix de l’électricité. Dans l’hypothèse additionnelle d’un hiver 2023 très rigoureux, le déclenchement par les États européens de plans de rationnement du gaz serait inévitable (et ce, malgré la réalisation d’une économie de 15% de la consommation de gaz pendant l’hiver). En supposant que le prix moyen de marché du gaz naturel se situe dans une fourchette 275/375 €/MWh en 2023, l’inflation resterait élevée, à 8,5% en 2023. Le rationnement affecterait surtout l’industrie et réduirait l’activité des secteurs fortement dépendants du gaz. Il s’ensuivrait un repli de l’investissement et un léger recul de la consommation suite à une détérioration plus marquée du marché de l’emploi. Le PIB baisserait alors de 0,6% en moyenne annuelle en 2023.

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